
Le jeune marin va remplacer Marc Guillemot à la barre de Safran et prendra le départ du Vendée Globe 2016 sur un bateau neuf. L'équipementier aéronautique a fait le pari de la jeunesse et du talent pour son projet de course au large.
Il a ce détachement et ce recul qui sont en général la marque des grands. Morgan Lagravière va prendre le départ du Vendée Globe 2016 sur un 60 pieds neuf taillé pour la victoire, et à la barre du projet Safran synonyme de projet d'envergure et de premier plan dans l'univers de la course au large. Joint dès vendredi au téléphone, celui qui pourrait être le Gabart du prochain Vendée Globe: un statut de favori dès sa première participation tout en étant le probable benjamin de la course, ne semblait pas désarçonné par ce défi qui va changer sa vie. «Je suis très heureux mais le processus de sélection a été long et je ne suis pas encore sûr de bien imaginer ce que cela représente et ce que ce projet va apporter à ma vie et à ma carrière», explique-t-il. Dort-il la nuit? A-t-il fait la fête? Est-il «comme un dingue»? Il n'y a rien à faire: les réponses sont structurées et ne laissent place à aucune fantaisie. «Je vais découvrir le bateau cette année, m'approprier le projet». Il n'y a pas de secret, pour en être là à 26 ans.
Le jeune marin va en effet découvrir le 60 pieds IMOCA cette année aux côtés de Marc Guillemot qui va terminer sa collaboration avec Safran en participant à la Route du Rhum. Puis c'est Lagravière qui va prendre la barre du projet avec le Vendée Globe en ligne de mire. Le coureur a été choisi à l'issue d'une sélection menée par Safran dans le plus grand secret. Un moment en ballotage face à Charles Caudrelier, récent vainqueur de la Volvo Ocean Race et déjà équipier sur le bateau lors de la Transat Jacques Vabre (2009), c'est finalement le plus jeune des deux marins qui a été retenu.
Tout est allé très vite pour Morgan Lagravière qui emprunte un itinéraire à la François Gabart, passé directement du podium sur la Solitaire du Figaro à la victoire sur le Vendée Globe, sans connaitre les années de galère pour trouver un sponsor et les affres des petits budgets pour partir au large. «La comparaison avec François Gabart ne me déplait pas, j'aimerais bien être sur la même trajectoire, reconnaît Morgan Lagravière. On est sur la même longueur d'onde, en revanche nous n'avons pas le même bagage scientifique».
Son destin, Morgan l'a dessiné sur l'île de la Réunion où il grandi, a vécu au contact permanent de la mer et a fait de la régate à haut niveau dès son plus jeune âge. C'est d'ailleurs sans doute là que le marin s'est construit autour de cette nonchalance apparente et de ce détachement qui dissimulent mal un mental de vainqueur. Morgan navigue alors avec Noé Delpech et collectionne les victoires. «Ca manquait parfois un peu de confrontation», reconnaît-il aujourd'hui. Le binôme fait également parler de lui en dehors de l'île avec deux places de troisième et une première place aux championnats du monde «jeunes». A 17 ans, il quitte la Réunion pour la Métropole avec la ferme attention de participer aux Jeux Olympiques. Trop lourd pour faire du 470, il se lance en 49er.
Une première rencontre déterminante de son parcours le conduit à faire une prépa olympique pour les jeux de Pékin avec Stéphane Christidis. «Cette aventure a commencé le lendemain soir des examens du bac, raconte l'intéressé. J'ai vécu deux très belles années. Ce n'est pas passé loin mais, malheureusement, nous n'avons pas été sélectionnés». Lagravière attaque alors une nouvelle préparation olympique aux côtés de Yann Rocherieux. Mais l'envie n'est plus là. Le marin, qui ne sait pas encore qu'il a le grand large dans les veines, a l'impression de tourner en rond. La routine s'installe. «En 2010, je suis tombé malade sur la dernière épreuve de la saison, explique-t-il. Je me suis remis en question et ai décidé de tenter une autre aventure». Quelle aventure? Il n'en a alors encore aucune idée. «Je me cherchais et n'étais pas sûr de vouloir faire de la voile ma carrière».
Par le plus grand des hasards, la Vendée lance à ce moment là une sélection pour recruter des skippers sur des Figaro Bénéteau. «Je suis arrivé détendu, les mains dans les poches». Toujours cette détente et ce recul dont il a su faire une arme.
«Il a tout de suite été assez impressionnant, explique un marin présent sur la sélection. Le premier jour sur la première régate, il avait un peu d'avance sur l'eau, le lendemain encore un peu plus, et à la fin il tournait autour des autres concurrents. Il m'a donné l'impression d'être une vraie éponge: être capable de prendre les informations, les intégrer, les assimiler instantanément et les mettre en application sur la régate suivante». Le verdict est rapide: Morgan Lagravière part pour deux ans à la barre d'un Figaro «Vendée».
La première apparition sur le circuit est tonitruante. Première course de ralliement sur la Générali en Méditerranée: premier. A mi-Generali, le bizuth est en tête du classement général. Il termine finalement 5è de la course avec deux victoires de plus en parcours banane. Mais surtout, il annonce clairement la couleur: il allait falloir compter sur un nouveau visage dans le milieu de la course au large et il ne ferait pas partie de ces talents qui s'imposent avec l'âge ou la maturité. Non, son itinéraire serait linéaire et explosif. Le nouveau Figariste enchaine les places d'honneur en tête de la flotte et termine même deux fois deuxième de la Solitaire du Figaro avec un titre de champion de France de course au large en Solitaire, en 2012. «Je me suis tout de suite éclaté en Figaro, raconte l'intéressé. J'ai découvert un fonctionnement et un format de course qui m'allait bien. J'ai vécu sur un nuage pendant deux ans: je me doutais que ça me plairait mais pas à ce point là».
Dans le milieu, le jeune prodige fait figure d'empêcheur de tourner en rond: loin de la Vallée des fous et des stages obligés à Port la Forêt, il a progressé en Figaro un peu dans son coin, avec ses coéquipiers du Pôle Vendée. «Pour gagner, tourne le dos à tes concurrents» pourrait être l'adage de Lagravière. Plutôt naviguer à livre ouvert avec quelques partenaires d'entrainement que de garder des informations pour soi face à ses principaux concurrents et naviguer avec eux toute l'année. Et si, tout bonnement, il n'avait pas besoin de se confronter aux meilleurs parce qu'il l'est déjà?
C'est maintenant un tout autre défi qui attend Morgan Lagravière. Le jeune prodige va maintenant devoir faire ses preuves sur l'Everest de la course au large. «Je pars pour gagner, annonce-t-il. Je sais qu'avec Safran je vais en avoir les moyens techniques. Par contre je suis à ce jour incapable de dire si je serai capable de gagner le Vendée Globe en novembre 2016, mais je vais tout faire pour être prêt». La concurrence est prévenue.