
Six jours déjà que les embruns envoient leur spray en permanence, que le sel s’incruste partout, que les vagues nettoient le pont, que l’océan a pris possession de ces deux trimarans géants. Six jours que les odeurs ont fait place à une neutralité sensorielle, que même les plats lyophilisés n’ont plus de goût. Six jours à mariner dans l’humidité, à garder le même ciré. Et à moins de 200 milles de la délivrance, Francis Joyon se rapproche dangereusement de Gabart. A peine 27 milles nautiques de retard. Le vieux loup de mer est de plus en plus percutant ces dernières heures avec des "rumeurs" de ponton qui évoquent un problème de foils pour le skipper de MACIF.
33 noeuds de moyenne pour IDEC
Il faut dire que le skipper d’IDEC Sport est particulièrement incisif avec des moyennes hallucinantes de plus de trente-trois nœuds ces dernières heures ! Le « chassé » en convient : il ne sera pas simple de s’en défaire, surtout lorsqu’il faudra aborder ce finish autour de la Guadeloupe. Une zone orageuse Car c’est une tradition depuis la première édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe : arriver par le Nord par la Tête à l’Anglais, longer les côtes sous le vent, virer une marque de parcours (la deuxième après celle du cap Fréhel) devant Rivière-Sens, au pied de la Soufrière, cette montagne volcanique qui aspire toutes les brises, emprunter le canal des Saintes, avant d’entrevoir la ligne d’arrivée devant l’îlet à Cochons… En sus, l’alizé d’Est qui sévit sur le tropique du Cancer a tendance à s’étioler au fur et à mesure que les voiliers s’approchent des îles caraïbes. Et les grains se mutent en zone orageuse en ce moment sur les Antilles : des trombes d’eau sont tombées ces jours derniers sur Pointe-à-Pitre !
Le record de Peyron ? Encore jouable...
Tous ces paramètres, cumulés avec la fatigue et le stress de la vitesse qui accompagnent les deux leaders depuis six jours, ne vont pas faciliter cet atterrissage : François Gabart et Francis Joyon ont beau connaître la problématique, eux qui ont déjà fait le tour, ils savent que ce parcours final est extrêmement piégeux. Tout va à peu près bien jusqu’à l’îlet Kahouane, au Nord de Basse-Terre, mais ensuite il faut négocier ces fameux trente milles entre Deshaies et la marina de Gourbeyre. Et rien n’est pareil d’un jour à l’autre, d’une nuit au jour… Par chance, l’atterrissage des leaders doit s’effectuer sous le soleil, ce qui facilite l’observation de ces maigres risées qui rident le plan d’eau. Bref, il faut s’attendre à plusieurs effets accordéon entre les deux premiers solitaires qui peuvent aussi espérer améliorer le temps de référence établi par Loïck Peyron quatre ans plus tôt : 7j 15h 08’ 32’’…
Anecdotique pour les deux marins, mais révélateurs d’une traversée extrêmement rapide depuis Madère qu’ils ont quitté il y a seulement quatre jours ! François Gabart et Francis Joyon ont ainsi aligné 550 milles quotidiens sur la route directe avec trois empannages importants sur plus de 2 000 milles !