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Kito, est-ce que tu te souviens de la première fois que tu as entendu parler de la Route du Rhum ?
Ah oui ! Ça remonte à exactement 44 ans, donc la première édition, et il y a eu cette année là deux évènements qui m’ont marqué à jamais. Le premier, c’est que j’avais un entraineur, aujourd’hui on dit coach, avec qui on faisait du dériveur à Port Camargue, c’était la belle époque de la baie d’Aigues Mortes. Moi je faisais du Moth et lui du Finn, il faisait partie de l’équipe de France, il s’appelait Patrice Charré. Il préparait cette première Route du Rhum en 1978, et il est parti au mois de juillet faire son parcours de qualification et on n’avait plus de nouvelles. Malheureusement on a retrouvé le bateau mais pas le bonhomme, qui a dû tomber par-dessus bord. Forcément ça m’a marqué, car c’était un peu mon idole puisque c’est un peu lui qui m’avait amené à la régate. Et puis après bien sûr, j’ai vu ces images incroyables d’un petit trimaran jaune qui dépassait sur la ligne d’arrivée un grand monocoque, Mike et Michel. Ce sont des images qu’on a vu à la télé, j’avais 17 ans à l’époque, et ce jour-là je me suis juré de faire la Route du Rhum un jour. Et il a fallu attendre d’avoir 50 ans pour faire ma première Route du Rhum, en 2010, comme quoi il faut être opiniâtre. Cette année c’est ma quatrième route du Rhum d’affilée, la première en 60 pieds et les trois suivantes en Class40, alors j’en profite.
Le Class 40 sur lequel tu cours cette année est baptisé HBF-Reforest’Action, peux-tu nous parler de cette dernière association ?
Avec la pandémie, nos vies se sont comme arrêtées. Plus de courses, plus de projets, mais d’un autre côté, plus positif, cela nous a laissé un peu de temps pour réfléchir. Après on nous a expliqué que nous étions classés, nous marins, dans les professions non-essentielles, qu’on ne servait à rien. Alors on s’est dit que c’était peut-être plus malin de, plutôt que de servir de panneau publicitaire pour des marques de lessives, d’amener quelques messages sur l’environnement pour les générations à venir et des actions très concrètes que l’on pouvait faire dès maintenant. Etant né en Dordogne, un pays où il n’y a pas la mer mais beaucoup d’arbres, peut-être que je me suis un peu souvenu de cette enfance joyeuse que j’ai eu au milieu des forêts. Dans le même temps, j’ai eu des petits-enfants en Nouvelle-Zélande, où on a fait les mêmes bêtises que partout ailleurs, en détruisant des forêts parce que le bois est une matière première très importante, et puis il y a eu ces immenses incendies en Australie. Et donc je me suis dis que ce sujet de la reforestation était super important mais pas sur le devant de la scène. Pour changer la donne, je me suis mis en tête d’offrir à une ONG qui s’occupe des arbres, un peu de place sur le bateau. Alors j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé la structure qui paraissait la plus visible en France, qui s’appelle Reforest’Action pour les aider contre zéro euro. Ils m’ont pris pour un fou, je crois qu’ils le pensent toujours rires), et on a mis six mois pour signer un accord pour que je puisse représenter Reforest’Action sur les océans.
Pour revenir à la Route du Rhum, quelles sont tes ambitions sur cette édition 2022 ?
C’est compliqué de se positionner dans cette flotte très variée mais aussi très talentueuse. Il y a surtout des bateaux avec des drôles de formes, avec ces étraves qui ne sont pas très jolies, mais qui sont très efficaces à certaines allures. Elles ont quand même quelques défauts et j’espère qu’ils vont nous permettre d’entrer dans les dix premiers, c’est l’objectif très élevé que je me suis fixé, avec à la fois les bateaux, 26 Class40 neufs construits je crois pour la Route du Rhum et surtout les personnages, avec quelques mecs qui savent faire du bateau ! (Rires) On sait que ça ne va pas être facile, et je pense qu’il va y avoir beaucoup de déçus, et on va essayer de ne pas en faire partie. Dans ce bateau il y a toute mon expérience, on a modifié beaucoup de choses, on a un bateau qui est optimisé, qui va vite, qui est très polyvalent, solide, avec lequel je me sens à l’aise car je le connais par cœur. Et puis j’ai mon petit secret de grand-mère ! J’ai redécouvert l’année dernière un petit truc, l’Antésite, que je mets dans l’eau fabriquée par mon dessalinisateur, et bien c’est vachement bon ! (Rires)
Et l’après Route du Rhum ?
J’en sais trop rien, mais il y a un truc que j’aimerais bien faire quand même. Le bateau est en vente, on verra si ça se fait ou pas. Il est toujours plus facile d’acheter un bateau que de le revendre, mais ensuite j’aimerais bien créer une course en Méditerranée. Je rêve d’avoir un vrai évènement en Méditerranée. Alors surement pas de la taille de la Route du Rhum, mais quelque chose qui a du poids, plutôt multi-classes, car il est important de garantir à des investisseurs qu’il y ait un beau plateau. Je voudrais faire ça au mois de septembre-octobre les années de Vendée Globe. Donc sans les Imoca, mais quand il y a le Vendée Globe tout s’arrête pour les autres, alors que par ailleurs le calendrier des courses au large est plutôt surbooké. Donc la seule période où on peut envisager quelque chose ailleurs, c’est cette période-là. En attendant, j’irai naviguer sur le bateau des autres…