Armel Le Cléac'h : « participer à cette histoire est une grande fierté et une grande responsabilité »
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Figaro Nautisme : à quelques jours du départ, quels sont les derniers préparatifs ?
Armel Le Cléac'h : "Nous sommes à notre base technique à Lorient, en train de tout mettre à bord du bateau, de vérifier l'ensemble des éléments. Je termine mes sacs de vêtements, on fait le tour du bateau avec l'équipe".
Figaro Nautisme : dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Armel Le Cléac'h : "L’état d’esprit en ce moment est de bien finaliser la préparation du bateau pour qu’il soit prêt lors de notre arrivée à Brest et qu’on n’ait rien à faire là-bas à part du fignolage on va dire, de l’esthétique. Car sur place nous aurons quelques rendez-vous, des sollicitations, des visites du bateau... donc l’idée est de profiter de notre base technique à Lorient pour faire tout ce qu’on a à faire, et qu’une fois à Brest, on ne se prenne plus la tête sur des détails."
Figaro Nautisme : quel a été le planning pour vous et votre bateau depuis votre victoire sur la Transat Jacques Vabre il y a quelques semaines ?
Armel Le Cléac'h : "Le bateau est rentré assez vite de Martinique par la mer avec l’équipage, je suis rentré plus tôt. Il a été ensuite démonté entièrement, à part la plateforme qui est resté à flot, pour un contrôle plus détaillé et minutieux que ce qu’on avait pu faire visuellement à l’arrivée de la course. Le puzzle a été remonté il y a maintenant deux semaines, on a repris les navigations le 20 décembre donc c’était assez court mais il fallait bien vérifier le bateau. Cela nous a permis de voir que tout était prêt donc pas besoin de faire d'autres navigations, on en avait déjà avant la Transat Jacques Vabre et puis la course en elle-même nous a permis de tester pas mal de choses. La dernière navigation sera celle du convoyage jusqu'à Brest finalement !"
Figaro Nautisme : quels sont vos objectifs pour ce tour du monde ? Est-ce qu'il y a des zones que vous redoutez ?
Armel Le Cléac'h : "Le parcours je le connais, je l’ai déjà fait 3 fois. Après la grande nouveauté, c’est de le faire en multicoque et en plus sur les bateaux les plus rapides au monde. C’est tout nouveau ! Alors même si j’ai déjà fait du solitaire en Ultim lors de la dernière Route du Rhum - Destination Guadeloupe, là on part pour un tour du monde donc ce n’est pas du tout le même exercice, c’est un marathon. On part pour 45-50 jours, dans des endroits hostiles loin de tout premier secours donc c’est ça la complexité et le risque. On sait qu’avec ces bateaux, une avarie peut devenir vite difficilement gérable par une seule personne à bord, donc c’est un peu ça les appréhensions.
Après pour les endroits du parcours, je dirai qu’on arrive toujours avec la météo et la vitesse de nos bateaux à nous positionner et à anticiper un peu les phénomènes dangereux parce que c’est l’avantage de naviguer sur ces bateaux rapides est que l'on va un peu plus vite que certains systèmes météo donc on peut éviter d’aller se mettre dans le très dur voire très dangereux. Après il y a des endroits obligatoires et risqués, notamment le sud de la Nouvelle-Zélande ou le passage du Cap Horn. Ce sont des couloirs où le terrain de jeu est un peu étroit donc si on s’y retrouve en même temps que le mauvais temps, ça peut être un peu compliqué donc on verra.
On aura d’ici quelques jours la météo du départ, qui peut aussi être compliquée car les dépressions s’enchaînent ces derniers temps au large de la Bretagne. On se fait un peu secouer depuis plusieurs semaines donc ce n’est pas impossible qu’on se retrouve dès les premières heures de course dans des situations délicates."
Figaro Nautisme : votre bateau est-il plus avantagé dans certaines conditions météo ? Est-il prêt à faire face à toutes les situations ?
Armel Le Cléac'h : "C’est un bateau dernière génération, comme celui de Tom Laperche (SVR-Lazartigue) donc ce sont des bateaux qui arrivent à maturité, ils sont bien performants on l’a montré pendant la Trandat Jacques Vabre, on a comblé les déficits de vitesse qu’on pouvait avoir. C’est un bateau polyvalent, construit pour le tour du monde donc pas forcément typé pour une force de vent ou un angle de vent particulier, c'est peut-être la différence par rapport à certains, moins à l’aise dans des conditions légères de vent, mais ce qui n’est pas forcément le pourcentage le plus important dans un tour du monde. Je ne pars pas en me disant qu’on a des points faibles au contraire je pense que le bateau est fait pour le tour du monde. Et puis la course ne va pas se jouer là-dessus, elle va se jouer sur la fiabilité des bateaux, sur la façon de mener les bateaux en solitaire car on sait qu’on est incapable de les mener à 100% sur l’intégralité de la course donc il va falloir voir comment chacun va réussir à mener son bateau pendant un mois et demi, et ça aujourd’hui personne n’est capable de le dire."
Figaro Nautisme : que représente cette course pour vous ? Être les pionniers d’une course qui, il y a quelques années, aurait été inimaginable ?
Armel Le Cléac'h : "C’est un défi incroyable dans tous les sens du terme. Déjà parce qu’on est les premiers à le faire en course. Des marins ont déjà fait le tour du monde en solitaire sur des multicoques mais pas sur des bateaux volants. Là on va le faire en plus en format course, ça n’a jamais été fait. Il y a un côté pionnier qui est hyper intéressant dans ce projet.
On a vécu le premier Vendée Globe en 1989, c’était les premiers bateaux qui partaient en course autour du monde sans assistance sans escale en solitaire. On les prenait pour des fous, on se demandait s’ils allaient réussir, etc il y avait beaucoup d’inconnus. C’était le début d’une grande course. Aujourd’hui on a trouvé quelque chose d’encore plus difficile à faire, on va le faire en multicoque, sur des bateaux volants qui vont quasiment deux fois plus vite donc c’est un exercice encore plus extrême. De participer à la première page de cette histoire est une grande fierté et une grande responsabilité car il faut qu’on relève le challenge !
Alors j’espère qu’on sera un maximum à y arriver, on a la possibilité de s’arrêter dans un port, ce qui change la donne avec le Vendée Globe, pour réparer et repartir, mais ce sera quand même compliqué à faire car les escales ne sont pas sur la route directe et ce sera en plus une grosse pénalité puisqu’on doit rester au port minimum 24h donc il faudra bien réfléchir entre s’arrêter ou continuer la course avec un bateau moins rapide. C’est sûr que cette course c’est le début, peut-être, d’une grande histoire, et faire partie des premiers marins qui vont tenter cette aventure-là c’est super !"
Figaro Nautisme : vous vous apprêtez à rentrer dans l'histoire !
Armel Le Cléac'h : "On verra, je vous dirai ça à l’arrivée ! Mais oui bien sûr, quand on parle du Vendée Globe on se rappelle des premiers marins qui ont participé : Jean-Luc Van Den Heede, Alain Gautier, Philippe Poupon… ils resteront à jamais les premiers !"