Armel Le Cléac'h : « Je suis un peu à bout… »

Par Figaronautisme.com
carte de la course Arkea Ultim en direct

De ses déboires techniques au trou dans le pont de sa coque centrale, en passant par les émotions intenses et un record presque à sa portée, Armel Le Cléac’h raconte son tour du monde.

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Arrivée d'Armel Le Cléac'h, Maxi Banque Populaire XI, 3e de l'ARKEA© Jean-Louis Carli

Est-ce que l’adjectif compliqué résume ton tour du monde ?

Armel Le Cléac’h : « Exactement, ça a été un tour très compliqué pour moi. Ça a commencé avec la première grosse avarie que j’ai eue dans le premier front, puis ça s’est enchaîné, avec des galères météo et techniques. À chaque fois qu’on pensait entrevoir une porte s’ouvrir, elle se refermait, soit parce que la météo n’était pas bonne, soit parce qu’il y avait de la casse. Je pense notamment au safran (arraché du bateau dans un contact avec une bille de bois, ndlr) quand on remontait le long de l’Argentine. En repartant de Rio, on pensait terminer le tour du monde, pas tranquillement, mais « safe », mais il y a eu cette galère assez lourde avec cette voie d’eau qui a posé pas mal de soucis ces derniers jours.

Il était temps d’en finir ?

Je suis un peu usé par tout ça, c’est un peu dur à vivre. Il n’y a pas eu de répit. J’ai le sentiment que tout s’est enchaîné dans le mauvais sens. Il n’y a jamais eu d’opportunités de profiter de ce tour du monde. Il a été riche en aventures, ce n’est pas rien de faire le tour du monde en Ultim, mais ça a été compliqué. Dès qu’il y a une galère technique, dès que la météo n’est pas au rendez-vous, il faut trouver d’autres chemins. Ça pèse un peu sur le mental : j’étais venu jouer pour la gagne. À Recife (son premier port d’escale), la porte s’est fermée (pour nous) et on a pris une grosse valise par les deux premiers, puis par Charles qui s’est retrouvé tout seul. Il n’y a rien eu pour revenir sur lui. On avait réussi à combler la moitié de notre retard sur lui, et c’est là que le safran et la dérive centrale ont cassé. Mentalement, c’est dur parce que j’ai eu 56 jours comme ça. Il y a toujours eu le leitmotiv de finir, qui était l’objectif n°1 avec l’équipe et avec ce bateau. C’est une expérience…

On te sent fatigué…

Je suis un peu à bout… Depuis samedi, ça a été hyper dur de naviguer avec un trou dans le bateau. J’ai mis une voile sur le trou, mais dès qu’une vague passe dessus, une tonne d’eau entre dans le bateau. Je n’ai pas dormi. Le bateau vole à nouveau ce qui rend les choses plus faciles pour avancer, mais je suis à cran avec cette casse. Quand ça a pété de nouveau, j’ai eu l’impression que ça ne passerait pas. Je vais être content d’arriver, je ne vais pas faire long feu pour dormir : je suis allé chercher loin, en termes d’énergie...

Tu as couru trois Vendée Globe ; est-ce plus dur de faire le tour du monde en Ultim ?

C’est beaucoup plus intense de mener ces bateaux car tout est démultiplié : la vitesse, la gestion des manœuvres, le plan technique aussi. Il y a sur un Vendée Globe des moments de pause que tu n’as pas sur l’ARKEA ULTIM CHALLENGE-Brest. C’est tout le temps à fond, et ça tire sur le skipper. On a échangé à ce propos avec Thomas : ça tire sur la couenne. J’avais bien navigué sur ce bateau, je savais à quoi m’attendre, mais j’ai été bien servi.

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Arrivée d'Armel Le Cléac'h, Maxi Banque Populaire XI, 3e de l'ARKEA© Alexis Courcoux

La vitesse que vous cherchez, vous la subissez également ? C’est elle qui génère la pression supérieure ?

Ce qui use vraiment mentalement, quand tu fais une journée à 700 milles, c’est que tu es à 35 nœuds de moyenne. Ça tire sur l’organisme, le mental. On est dans l’extrême de ce qu’on peut faire dans la course au large, dans le plus difficile. Les deux marins arrivés avant moi ont raconté leur aventure, ils ont exprimé qu’ils étaient bien secoués par ce qu’ils ont vécu. On ne ment pas quand on dit que c’est exigeant. C’est dur et, quand les conditions deviennent difficiles ou qu’on a des problèmes techniques, ça en ajoute à la complexité.

Le meilleur temps sur 24 heures, de belles cessions de vitesse… Il y a bien eu des moments sympas à vivre ?

Il y a eu de belles choses, tout n’a pas été difficile. J’ai connu de belles journées de vitesse sur 24 heures. J’avais le record dans la poche (il est détenu par François Gabart, 850,68 milles en 2017), mais j’ai eu un problème de safran, dévissé, qui faisait que la barre était très dure. Il a fallu que je mette le pied sur le frein, mais j’étais parti pour faire 40 à 50 milles de plus que le record.

Et ces escales, même si elles sont dures à vivre, génèrent de belles rencontres. À Recife et à Rio, on a croisé des gens qui nous ont donné des coups de main logistiques. Le Pacifique a aussi été un bon moment : c’est allé vite, on l’a traversé en une semaine, ce qui montre la capacité du bateau quand tout se passe bien. J’ai passé le cap Horn de nuit, mais voir les îles des États au petit matin, c’était une belle image. Un gros coup de vent arrivait, il a fallu s’y préparer.

Quel bilan tires-tu de ton bateau ?

Je ne suis pas déçu par le bateau. On a rencontré des soucis techniques qu’on n’a pas eus avant, et pourtant on en a fait, des milles, notamment sur la Transat Jacques Vabre. Là, on a eu des soucis qu’on n’imaginait pas, et surtout, on a tapé le safran. Le trou dans le pont, c’est la cerise sur le bateau. C’est la première fois qu’on fait un tour du monde en Ultim. En solitaire, on n’a pas tant de possibilités que ça pour faire des vérifications du bateau, contrairement à l’équipage. On a eu des galères, mais les autres bateaux aussi ont souffert. Et pourtant, on a réussi notre pari : on sera probablement 5 bateaux sur 6 à l’arrivée. Ce sera une belle réussite collective malgré les soucis techniques.

Qu’as-tu appris ?

J’ai un peu le même sentiment qu’à une arrivée de Vendée Globe : j’ai la sensation de maîtriser le bateau dans toutes les conditions imaginables : dans 55 nœuds de vent, dans le près... Question virements, j’ai fait le tour de la question. Je connais très bien le bateau, je sais le régler même s’il est en mode dégradé, et il reste incroyable de vitesse.

Et puis il y a cette fameuse « résilience »… Cette capacité qu’on ne soupçonne pas à savoir surmonter les choses. Quand j’ai senti que le bateau était plein d’eau, je pensais que j’allais couler. C’était un peu l’urgence absolue, la panique et, 12 heures après, l’eau était vidée, le trou bouché, et on repartait. Ce sont des trucs qu’on découvre, qui font progresser et qu’on ne peut pas travailler à l’entraînement. J’ai appris sur la météo, aussi, avec Marcel van Triest et l’équipe, qui nous guident et nous apportent des réponses qu’on n’a pas.

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Arrivée d'Armel Le Cléac'h, Maxi Banque Populaire XI, 3e de l'ARKEA© Jean-Louis Carli

Quelle est la plus belle image que tu gardes de ce tour du monde ?

La plus belle, c'est peut-être tout à l’heure au coucher au large de Ouessant. Je sortais de cette galère, j’apercevais enfin la côte bretonne, ce terrain de jeu que je connais tellement bien. Je savais que j’allais rentrer à la maison »

Source : ARKEA ULTIM CHALLENGE BREST 

Pour suivre les évènements de la course, n'hésitez pas à consulter le dossier spécial ARKEA ULTIM CHALLENGE BREST .

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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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