Cantilène Cantabrique : avis aux navigateurs !
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Certes les hauteurs d’eau et les courants ne sont pas ceux du Raz Blanchard, mais quand même : si en vives-eaux le marnage n’excède pas quatre mètres, de par la topographie de la côte et de ses « rias altas », il n’est pas sans conséquence pour la navigation. En effet, la très grande quantité d’eau accumulée par ces réservoirs naturels produit de forts courants dans les rivières et les embouchures et peut créer des difficultés voire des impossibilités pour rentrer au port. A mi-jusant, un vent ou une houle de sens contraire au courant descendant peuvent lever une barre infranchissable. A rebours au flot, et si le débit de la rivière est suffisant, peut apparaitre un mascaret. Plusieurs sites de la côte basque font ainsi le bonheur des surfeurs qui remontent la rivière debout sur l’onde magique.
En pratique dans des conditions de mer ou de vent un peu rugueuse, il peut être judicieux de programmer son atterrage entre PM-1 et PM +1.
Houle là là ! On en a déjà parlé et on l’a expérimenté. Aussi bien la houle d’ouest générée par une dépression qui « traverse les îles britanniques », voire plus nord sur l’Islande, ou plus proche avec la fameuse goutte froide centrée sur le golfe de Gascogne. Mais il y a aussi la houle d’Est qui, bien que moins ample, plus nerveuse, n’en est pas moins agaçante. Ces houles, qui rencontrent ces hautes falaises de schistes, elles s’élèvent à plus de 100 mètres, créent des ondes de retour, du clapot, du vrai. Il peut être ressenti jusque 6 à 8 milles de la côte et crée une mer confuse et sournoise. Cela semble aussi aller un peu mieux au-delà de la ligne de sonde des 100 mètres. On se méfiera bien sur des hauts-fonds, mais aussi des « canyons » qui saignent en profondeur le plateau continental cantabrique ; on s’explique facilement en leur voisinage ces houles qui doublent de hauteur ou réduisent leurs fréquences. Naviguer dans un panier d’œufs n’est pas confortable, au pré, au portant et même au moteur. Mais au moins pensez-vous au mouillage on sera tranquille. Que nenni ! Là aussi la topographie de la côte permet à la houle de contourner ces obstacles abrupts, de tourner le coin et, sans ménagement, prendre un cap perpendiculaire à sa direction initiale.
En pratique : on considéra avec attention les cartes de houle et leurs prévisions.
En navigation il faut subir ou être assez loin de la côte pour éviter l’inconfort et l’insécurité et rester vigilants sur les accidents bathymétriques : « bancos » ou « canyons ». Pour mouiller on choisira avec soin des fonds pas trop profonds, sous le vent face à une plage en général et dont le sable aura épuisé la puissante maitresse de la côte cantabrique, sa majesté la houle.
Le lecteur de Roscoff sourit : « bon d’accord la houle, le courant, mais chez nous on a la brume en plus ! » Et bien vous allez être servi, en Galice aussi il y a de la brume, et de l’épaisse. Le phénomène est rapporté par les guides nautiques et les pratiques locaux ou étrangers. Nous n’avons donc pas manqué de le tester. La première fois en passant en fin de matinée et en fin de flot, au pré, le Cap Ortegal, front de brume épaisse et brutal, la visibilité ne dépassait pas 50 mètres. La seconde fois, toujours le matin, au large de Viveiro sur la route du retour vers les côtes françaises avec 20 mètres de visibilité.
Il y a brouillard et brouillard. Il est rare qu’un des ouvrages majeurs de Jean-Yves Bernot ne soit pas ouvert sur la table à carte, il y a tant à apprendre ! Donc dans le volume « Météo et Stratégie », le tome I, page 363, on parle de brumes et brouillard. On peut penser qu’au large d’Ortegal c’était un brouillard d’advection, l’eau de mer était à 14° à la fin du flot. Ça rappelait une expérience portugaise vécue en 1978… Et dans le second cas, dans un synoptique d’Est, une légère caresse de vent de terre venant du sud nous avait vu quitter le ponton que les doigts de l’aurore avaient recouvert de rosée. On peut penser que c’était un brouillard de rayonnement, la mer était à 20° à vingt milles de la côte. La contradiction est acceptée.
En pratique, l’usage d’un radar est fortement conseillé en Galice, tous les engins flottants ne sont pas équipés d’AIS. On se consolera en remarquant que le vent faiblit avec la visibilité et qu’il appelle le moteur. On n’aura pas de problème d’énergie…
« En Galice l’été, il y a six jours de vent d’est et un de sud-ouest. On ne passe pas contre le sud-ouest ». C’est Juan qui parle. Juan nous l’avons rencontré à Gijón, nous le retrouverons régulièrement le long de notre chemin. Juan sait de quoi il parle, voici 30 ans qu’il pratique en professionnel le charter sur les côtes espagnoles et françaises du golfe de Gascogne. Cette côte, exposée au nord est élevée, échancrée par des rias, elle a tout pour plaire au lecteur de « Météo locale : croisière et régate » autre ouvrage de Jean-Yves Bernot que l’on consultera avec bénéfice tant en ce qui concerne les effets de site que les brises thermiques. Au voisinage de la côte le synoptique est profondément perturbé.
En pratique. Les bulletins côtiers, même numérisés, ont de la peine à témoigner de ces variations qui peuvent être plus que significatives. On pourra s’aider des fichiers à maille fine, des vidéos de prévisions météo, sans oublier les cartes synoptiques et la lecture enrichissante des bons auteurs dont on constatera les prédictions. Voici quelques situations de la vraie vie.
Par vent de secteur Est, il s’agit d’une côte rectiligne élevée à moyennent élevée à droite du vent.
Par vent strictement d’Est, le phénomène de divergence associé au phénomène de canalisation explique le renforcement minime voire le vent affaibli à terre.
Par Nord est le vent est plus faible à la côte et jusque 0.5 milles au large, essentiellement par frottement, il a tendance à tourner à droite, parallèlement au rivage. Par contre sur la bande au large comprise entre 2 à 5 milles de la côte l’accélération est nette, jusque dix nœuds supplémentaires ! Elle peut même concerner la bande côtière si l’air est stable. Expérience totalement vécue en arrivant à Santander avec 25 nœuds tournant à droite dans un synoptique version fichier GFS annoncé à 13 nœuds de Nordet. Le lecteur attentif de « Météo Locale : Croisière et régate », le tome II, aura en tout cas été prévenu page 53 de l’ouvrage, le cas même de Santander y est évoqué...
Qui dit secteur Est dit anticyclone ou marais barométrique, qui dit anticyclone dit chaleur en été. Jeudi 16 juin 2022, Santander, vent de secteur Est 25 nœuds en approchant du littoral à 16h30. Le ciel se couvre en fin d’après-midi quand nous prenons notre poste un peu avant 18 heures, le vent est quasi nul, il fait très chaud. Et puis brutalement à 19h30 le vent saute au sud-ouest, se renforce en virant au Noroit, la température et la pression baissent, le vent lui grimpe toujours ; à 20h00 les rafales sont à 35 nœuds dans le port. Les pluies violentes calment ces ardeurs et tout revient à l’Est. A 22h00, tout est accompli.
Ce phénomène à un nom : « viento di galerna ». Il est sensible de Gijón à Hendaye sur une bande de 35 milles en latitude https://meteoglosario.aemet.es/es/termino/166_galerna.
La carte synoptique et les températures élevées (canicule en France, près de 30° à Santander) permettaient de prévoir ce coup de tabac : de l’air très chaud du littoral cantabrique rencontre l’avant d’un front froid océanique : cette situation typique, et non sans conséquence, n’est pas prévue par les fichiers de vent, mais page 348 du tome I si.
Les deux jours suivants, toujours à Santander, nous observerons ce phénomène avec une régularité et une précision de métronome, mais en beaucoup moins fort, il n’y a pas de front froid pour amplifier le phénomène orageux.
Pour ce qui est du vent d’Ouest on peut faire confiance à Juan, par suroit on ne passe pas ! Il s’agit en effet d’une côte élevée à gauche du vent, le phénomène de convergence explique le renforcement du vent à terre. Les nombreuses rias et vallées délecterons les lecteurs du chapitre 6 du tome II…. Ceci dit ces arrivées océaniques apparaissent prévisibles et franches. Et puis il n’y a pas que des coups de vent, il y a aussi de jolies brises d’ouest et quelques effets thermiques !
Les brises thermiques parlons-en, ce n’est pas pour rien qu’elles mettent à rude épreuve les nerfs des coureurs du Figaro quand ils font étape sur cette côte. La côte cantabrique, est élevée, orientée Ouest-Est, face au Nord, trois paramètres peu propices au développement des brises. Il faut donc que les autres conditions d’établissement de la brise soient réunies et « pesantes » (tome II pages 101 à 262…le sujet et vaste). Voici en tout cas pour minimiser les erreurs un petit mémo qui applique pour la côte cantabrique la théorie des quadrants :
Vent synoptique au 090° (parallèle à la côte). Renforcement du vent, peu de rotation.
Vent synoptique de 090° à 180° : Quadrant 1. La brise se déclenche tôt, elle est efficace. Elle s’établit perpendiculairement à la côte, se renforce légèrement à gauche, puis tourne à droite.
Vent synoptique de 180° à 270° : Quadrant 2. La brise combat le synoptique, les autres conditions doivent être très très favorables pour déclencher la brise qui s’établira tard, rotation à gauche dans la phase d’établissement puis elle tourne à droite.
Vent synoptique au 270° (parallèle à la côte). Baisse du vent de 5kn, puis établissement d’une brise pure qui tourne à droite.
Vent synoptique de 270° à 360° : Quadrant 4. Pas de brise.
Vent synoptique de 360° à 090° : Quadrant 3. La brise semble renforcer le synoptique, le thermique est au début à gauche du synoptique et tourne à droite dans l’après-midi.
Les brises nocturnes sont sensibles en particulier dans les vallées et rias. Il faudra s’en souvenir en mouillant en fin d’après-midi, le vent pourra, cette nuit, être à l’opposé de ce qu’il était au coucher du soleil… (Cedeira, Vivero, Ribadeo…)
Et puis il faudra bien envisager le retour vers les côtes françaises. Nous avions traversé le golfe de Gascogne au plus court dans des conditions clémentes. Le retour peut être plus compliqué, il se fera au mieux à l’arrière d’un front froid avec du noroit en partant de la région du cap Ortegal pour atterrir au plus court à Yeu ou Belle ile si l’on veut éviter une troisième nuit en mer.
Les choses se compliquent quand l’anticyclone s’installe sur les îles britanniques. Le réchauffement de la péninsule ibérique installe la « dépression madrilène ». La machine thermique se met en route, le gradient de pression se resserre sur la Galice, produisant des vents d’est à nord est modéré à assez fort. Il faudra patienter un peu, voire beaucoup, pour que les différences de pression s’amenuisent et traverser vers la France, mais on ne coupera pas sans moteur la dorsale anticyclonique du Golfe de Gascogne…
La navigation sur cette côte est exigeante, elle peut être comparée à la navigation méditerranéenne en arrière- saison, courants, marées et houle en plus, température de l’eau en moins. Il ne faut pas faire une confiance aveugle aux fichiers de vent à grosse maille, s’intéresser aux fichiers à petite maille qui deviennent de plus en plus pertinents, multiplier les sources d’information, regarder les bulletins vidéo, lire les cartes synoptiques, veiller au ciel, au baromètre, à l’évolution du vent. Et pour tout ce qui est des phénomènes de site et de brise, et ils ne manquent pas, ainsi que pour la compréhension de la circulation générale de l’air en revenir aux sources du savoir pour ne pas trop subir.
Jean-Yves Bernot : Météo et Stratégie : croisière et course au large (tome I). Météo locale : croisière et régate (tome II) Editions Gallimard.
Avant de partir naviguer, pensez à consulter les prévisions météo sur METEO CONSULT Marine.