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Comment vivez-vous le confinement ?
Stéphane Dugast : "Je suis à Paris, en famille. Je suis retourné dans la capitale mardi dernier (le 17 mars) juste avant le confinement. Présent au festival « Les Rendez-Vous de l’Aventure » de Lons-le-Saunier le week-end précédent, je devais initialement enchainer avec une semaine de vacances aux Rousses, station du Haut-Jura. Compte tenu des événements, je suis rentré précipitamment sur Paris, mon « port-base ». C’était à la fois déroutant et inquiétant d’effectuer ce chemin en sens inverse de la « meute » pressée de quitter la capitale. Auteur-réalisateur indépendant, je suis en fait habitué au confinement. Vous savez écrire un livre, c’est un travail de longe haleine qui nécessite des « heures de table » seul derrière son ordinateur. Cette fois, ce qui change, c’est que je suis accompagné. C’est, en effet, avec femme et enfant que je partage mon quotidien, et ce au plus-près ! Notre salon est ainsi devenu notre bureau open-space. Comme toutes les familles, nous avons d’abord dû prendre nos marques et nous organiser en conséquence afin de cohabiter en parfaite harmonie. Ce confinement resserre les liens avec tes très-proches, c’est indéniable. Ou il peut tout faire exploser. Comme sur un bateau en fait ! "
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Quels sont vos conseils de marin pour bien le vivre ?
S.D : "Reporter pour Cols Bleus, le journal de la Marine nationale, j’ai multiplié les embarquements sur les « bateaux gris » pendant plus de 15 ans. J’ai donc expérimenté à maintes reprises, et sur des bâtiments de toutes les tailles, la vie embarquée et ses contraintes, comme la promiscuité, l’isolement ou encore le confinement. Parmi ces expériences, la plus significative est mon embarquement durant un mois à bord d’un sous-marin nucléaire d’attaque, en l’occurrence le SNA Émeraude, équipage rouge. Cet embarquement a été d’autant plus fondateur que c’était la première fois que j’évoluais autant de temps (1 mois) dans un univers confiné. J’en ai tiré quelques enseignements. Celui, primo, d’organiser ses journées pour les rythmer. L’objectif étant de percevoir que le temps passe normalement. Secundo, j’ai compris qu’il était essentiel de bien manger. C’est bien connu des marins, la nourriture affecte le moral. Attention cependant aux excès ! Personnellement, pour surcompenser ce confinement, je mangeais beaucoup et trop. Résultat, j’ai pris 8 kilos en 1 mois ! Gare aux excès donc… Tertio, il est essentiel de garder des contacts avec ses proches et ses amis, de créer des interactions sociales. Via Skype, les réseaux sociaux, le téléphone et l’Internet, c’est un jeu d’enfant pour nous qui sommes actuellement confinés. C’était compliqué sur le sous-marin, voire même impossible pour des raisons de sécurité. Quatrième enseignement de cet embarquement dans un univers confiné, celui de prendre soin de son corps et de sa forme. Il faut se doucher, se raser et s’habiller comme à terre. Il est aussi important de faire du sport, ou du moins des exercices, pour fatiguer son corps. Avant-dernier enseignement, et non des moindres, garder le moral est primordial. Il faut accepter la situation, ne pas la subir, rester positif et anticiper l’après. Quand on y parvient pas, il faut dialoguer avec ses proches , et se confier. Dernière règle que je retiens : toute vie dans un espace confiné impose de savoir s’octroyer des moments d’intimité. Dans le sous-marin, j’étais parvenu à me trouver une « planque », dans laquelle je pouvais me réfugier pour lire en toute tranquillité. J’ai ainsi dévoré « Les cavaliers » et « Fortune carrée » de Joseph Kessel. Le décalage était d’autant plus jouissif que ces deux romans sont une ode au « grand dehors » et à l’ailleurs tandis que moi, j’étais confiné dans une « boîte » avec 80 marins par 300 mètres de profondeur quelque part en patrouille dans l’océan Atlantique nord. J’adorais ce moment d’intimité, que je désirais et que je programmais sachant que j’allais m’extraire un temps du quotidien, pour y revenir ensuite plus fort, plus apaisé."
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Dans cette période de repli, quels sont vos livres ou films de chevet ?
S.D : "C’est le moment ou jamais de lire ou relire des classiques du genre, comme « Vendredi ou la Vie sauvage » de Michel Tournier, la « Longue Route » de Bernard Moitessier ou « Le loup des mers » de Jack London… Je viens de finir un roman d’aventures et de mer magistral. Signé Olivier Remaud, « Errances » raconte avec force l’étonnant destin du marin-explorateur Vitus Bering, marin-explorateur au service du Tsar de Russie. En ce moment, je suis en train de relire Bernard Giraudeau, un formidable écrivain de mer disparu il y a bientôt 10 ans. Je relis avec délice « Le Marin à l’ancre », mais lisez aussi « Les hommes à terre », « Les dames de nage » ou encore « Cher amour ». Il y a aussi les bande-dessinées qu’il a réalisées avec le concours de l’ami Christian Cailleaux : « Les longues traversées » et « R97 - Les hommes à terre », un album hommage au porte-hélicoptères R97 « Jeanne d’Arc ». Un bâtiment mythique sur lequel Bernard Giraudeau avait d’ailleurs servi comme jeune quartier-maître mécanicien. Ceci lu, je vais pouvoir me lancer enfin dans la lecture des deux derniers tomes de la saga maritime de Fabien Clauw, un ancien coureur au large devenu un écrivain prolifique et talentueux. À la manière de ses confrères de plume anglo-saxons - C. S. Forester ou Patrick O’Brian - Fabien nous raconte avec fougue et verve les tribulations de l’officier de Marine Gilles Belmonte embarqué dans mille et unes aventures sur les bâtiments de la toute jeune Marine républicaine. Chacune de ses intrigues est habilement tissée, ses personnages hauts en couleurs, les rebondissements nombreux et les scènes de combats maritimes criantes de vérités. J’ai lu avec gourmandise les deux premiers tomes : « Pour les Trois couleurs » et « Le Trésor des Américains ». Le tome 3 (« Le pirate de l’indien ») et le dernier (« Le capitaine de Bonaparte ») m’attendent. C’est donc maintenant ou jamais ! Côté films, j’ai prévu de revoir des classiques, comme « Master and Commander » avec Rusell Crowe, ou encore « La mer cruelle », adapté d’un roman éponyme (que j’ai dévoré). Enfin « rayon » musique, je ne me lasse pas d’écouter en boucle la bande-originale « Tabarly », le film de Pierre Marcel. Anniversaire oblige (30 ans déjà !), je me plais également à réécouter la bande son du film « Le grand bleu », des réminiscences de mes années adolescentes. Bref, depuis le cœur des terres, depuis Paris très silencieux, j’aime à prendre le large et sentir le parfum de l’aventure ! "
L'auteur en bref :
Auteur de livres et réalisateur de documentaires, Stéphane Dugast a développé un penchant certain pour le monde maritime et celui de l’exploration. Il a notamment co-écrit la biographie : Paul-Émile Victor. J’ai toujours vécu demain (Robert Laffont, Points en poche), prix Éric Tabarly 2016. Il est l’auteur de Polar Circus, les expéditions polaires à la française (éditions du Trésor) et le co-auteur avec Julien Moreau de L’éco-aventurier, mon tour de France au service de l’environnement (Hugo éditions), deux ouvrages récemment parus en librairie, narrant chacun à leur façon une facette du monde de l’exploration et ses liens avec notre planète Terre.