
Figaro Nautisme : quand et comment l’aventure de la voile et de la course au large a-t-elle commencée ?
Sylvie Viant : « Je me suis mariée très jeune et j’ai commencé par faire du charter aux Antilles. Puis mon père (ndlr. André Viant) un jour voit une annonce pour une course autour du monde en équipage en 1973, la Whitbread (ndlr : la Volvo Ocean Race aujourd’hui) et comme il aimait naviguer avec ses enfants, il nous a demandé si cela nous intéressait et évidemment que oui ! On n’arrêtait pas de lire les récits de ceux qui passaient le Cap Horn, c’était fascinant et on avait vraiment envie de le faire. Il a donc monté un équipage avec ses enfants mais aussi Philippe Facque, Patrice Carpentier, Loïc Caradec… des hommes qui marqueront l’histoire de la voile professionnelle par la suite. Il y avait également mon frère Jimmy, un cousin… J’avais 24 ans à l’époque. Je n’étais pas la plus jeune à bord, mon frère avait 21 ans. On se lançait dans une course qui n’avait jamais eu lieu, c’était l’aventure totale ! Nous avons fait toutes les étapes ensemble, il y a eu très peu de changements d’équipage. Il y a bien sûr eu des moments difficiles, notamment dans l’océan Indien. Malgré tout, nous sommes arrivés 3e. Il y a eu plusieurs étapes dans la course : Cap Town, Sydney, Rio de Janeiro au moment du Carnaval… les escales étaient longues puisqu’il fallait attendre les derniers pour repartir, on pouvait rester un mois, un mois et demi ! C’était vraiment une année initiatique et très intéressante pour notre formation à tous.
Cette course a passionné mon père et il est reparti en 1981 à bord de Kriter XI. J’ai fait deux étapes mais cette fois-ci, c’était différent, beaucoup plus professionnel. Certaines personnes à bord étaient payées, l’ambiance n’était plus du tout la même. A notre époque c’était très « la croisière s’amuse » malgré certains moments compliqués. Je me souviens que nous avons vu des icebergs et à l’époque il n’y avait pas les images satellites donc dès qu’on en envoyait un, on se précipitait et on virait de bord pour aller le voir de plus près. Rien à voir avec aujourd’hui ! »

F.N. : C’est cette expérience qui vous a amenée à travailler dans le milieu de la course au large ?
S.V. : « Après cela, je venais de divorcer, je n’avais pas de métier « attitré » et il fallait que je gagne ma vie. Je suis rentrée dans l’organisation de l’Union Nationale pour la Course au Large (UNCL) aux côtés de Bernard Decré en 82 pour le Tour de France à la Voile, puis Michel Etevenon sur la Route du Rhum. J’étais présidente comité de course, à l’époque il n’y avait pas de direction de course. Juste avant j’avais participé à une course organisée par Michel justement, La Rochelle – La Nouvelle-Orléans avec un équipage 100% féminin, sous les couleurs de Kriter. J’avais d’ailleurs embauché la mère de Claire Renou (ndlr : Claire Renou dont vous retrouverez le portrait ici). Nous étions 10 et c’était génial, une super expérience !
Après le Tour de France à la Voile, j’étais à l’organisation de la Route du Rhum la même année avec l’UNCL : je faisais les contrôles de bateaux, les suivis. J’apprenais le côté organisation et non plus le côté coureurs. On faisait le suivi en mer avec des balises Argos, très différent d’aujourd’hui.
Puis en 1983, j’ai fait une course sans escale en double , Lorient-Les Bermudes-Lorient, sur le trimaran d’Eric Loizeau. Ma première expérience en multicoque. Nous étions en double sur cette course et on a cassé un hauban, on a dû s’arrêter aux Bermudes pour le changer et repartir ensuite. Les résultats n’avaient pas été très brillants !
En 1984, j’ai fait la Québec-Saint-Malo en équipage, puis Monaco-New-York en 1985 en équipage mixte… Tous les ans j’essayais de faire une transat en parallèle de mon travail dans l’organisation ! »

F.N. : Mis à part une expérience en équipage féminin, vous avez surtout navigué en équipage mixte ?
S.V. : « Oui, et les équipages mixtes c’est top ! Mais le problème aujourd’hui c’est qu’il y a beaucoup moins de courses en équipage… Cela s’est très professionnalisé, et c’est plus compliqué de trouver un sponsor. Maintenant, il faut un équipage qui soit entièrement féminin, soit entièrement masculin pour intéresser les sponsors. La Volvo Ocean Race a imposé un quota pour le nombre de femmes dans chaque équipage, ce qui a permis à certaines navigatrices de montrer à quel point elles étaient douées et professionnelles, comme Marie Riou par exemple. »
F.N. : L’univers de la course au large a fortement évolué depuis vos débuts ?
S.V. : « Au début dans la course au large, les organisateurs étaient des navigateurs, comme Gérard Petipas. Ensuite, quand la Fédération Française de Voile a vu que les courses étaient de plus en plus revendues à des gens qui n’étaient pas des marins, elle a imposé un directeur de course. Pour qu’il y ait des personnes qui connaissent la mer, la régate et qu’il n’y ait pas juste le côté publicitaire et marketing. C’est grâce à cela que j’ai fait pas mal de courses en direction de course. J’ai participé au premier Vendée Globe avec Philippe Jeantot (appelé le Globe Challenge en 1989) en tant que présidente du comité de course. Ensuite, la course a été rachetée par la région et j’ai quitté l’organisation du Vendée Globe.
J’ai continué l’organisation de courses avec la Barcelona World Race (en double), la transat anglaise en solitaire avec Marc Turner, la Route du Rhum avec Jean Maurel, la Jacques Vabre avec Gérard Petipas… j’ai fait toutes les Transat Jacques Vabre sauf en 2011. J’étais à la direction de course à partir de 2013. »
F.N. : On vous retrouvera donc au départ de la Transat Jacques Vabre en octobre prochain ?
S.V. : « Aujourd’hui, j’ai passé le flambeau à Francis Le Goff pour la Jacques Vabre, je suis une de ses adjointes. Je lui ai dit qu’il n’avait pas besoin de moi avec tous les adjoints qu’il avait et il a insisté en disant que ma présence le rassurait ! C’était gentil de sa part ! Je serai là pour la prochaine au Havre en 2021 et sans doute à l’arrivée. »

F.N : Aujourd’hui, la course au large, c’est terminé. Vous naviguez toujours ? Monocoque ou multi ?
S.V. : « Oui mais en croisière ! C’est repos maintenant. Je navigue plutôt en monocoque sauf aux Antilles où j’opte pour le catamaran. En fait, cela dépend de la destination. »
F.N. : Les courses sont très différentes aujourd’hui de celles que vous avez connues, qu’en pensez-vous ?
S.V. : « Oui énormément ! J’espère qu’il y aura des courses en équipage qui vont se faire avec des bateaux moins professionnels car c’est une formation intéressante pour les équipiers. Par exemple le Tour de France qui se fait maintenant en Diam 24 c’est davantage un show devant les plages qu’une formation d’équipiers de course au large. Il y a la Solitaire du Figaro ou la Mini Transat, mais ce sont des courses en solitaire… c’est dommage. »
F.N. : Les marins d’aujourd’hui ne ressemblent pas aux marins d’hier ?
S.V. : « C’est un peu différent oui. Il y en a moins car il y a moins de course au large en équipage et ils sont pour la grande majorité professionnels ! Mais c’est vrai que maintenant, quand on voit que Fabrice Amedeo abandonne le Vendée Globe car il n’a plus d’ordinateur, c’est quand même dommage… »
F.N. : Qu’est-ce qui vous plaît dans l’organisation de courses ? S.V. : « Ce qui me plaît c’est le contact avec les skippers, les bateaux et le suivi, la météo et la stratégie, je trouve cela très intéressant ! C’est quelque chose sur lequel je me suis formée au fil de l’eau, car à mon époque ce n’était pas pointu comme aujourd’hui ! Les skippers ont des formations avec des météorologues, etc. On a plus d’informations sur les bateaux aussi, la stratégie est complétement différente avec les logiciels de navigation. Quand on fait de la direction de course, on suit des stages pour apprendre ce genre de choses, pour comprendre et ne pas être trop « à la ramasse » par rapport aux skippers, on continue d’apprendre ! »

F.N. : Être une femme dans un monde encore très masculin, pas trop compliqué ?
S.V. : « En 73, heureusement que j’étais la fille du patron ! Les hommes se précipitaient pour aider pendant la navigation, mais finalement c’était surtout pour prendre ma place. Donc il faut arriver à leur dire non, ici c’est chacun son rôle et chacun sa place. Après c’est la routine et tout se passe bien. Les hommes sont tout à fait aptes à comprendre cela, même s’il y a cette petite première phase où il faut s’imposer.
Je pense que c’est moins le cas maintenant, les hommes sont moins machos aujourd’hui. Il y a une nouvelle génération avec des femmes comme Samantha Davies, Isabelle Joschke, Miranda Merron… qui n’ont plus rien à prouver. C’est bien car il y a une époque où il n’y avait plus du tout de femmes dans la course au large et maintenant ça revient.
En organisation de course, ce n’était pas évident d’être une femme à l‘époque. Je me souviens avec Gérard Petipas en Hollande pour la Course de l’Europe, on tombait sur des directeurs de ports très machos qui ne voulaient pas du tout s’adresser à moi, il fallait vraiment s’imposer. Aujourd’hui c’est passé dans les mœurs.
Des directrices de course je n’en connais pas… Il faut que des femmes s’imposent dans ce domaine ! Aujourd’hui elles naviguent mais quand elles arrêteront, elles seront tout à fait à la hauteur de ce métier. »