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Figaro Nautisme : Servane, peux-tu te présenter ainsi que ton parcours ?
Servane Escoffier : "Je m’appelle Servane Escoffier Burton, j’ai 39 ans et je vis à Saint-Malo depuis l’âge de 8 ans. J’ai commencé le bateau vers… 5-6 mois ! Je viens plus des bateaux de tradition de par mes parents, c’était un mode de vie, on allait à Chausey en famille. Puis j’ai commencé à régater au lycée en compétition et grâce à un club à Saint-Malo, la SNBSM. J’ai débuté la compétition en Class 8 avec Eric Cottrel et c’était une sacrée ambiance : Trophée des Lycées, Spi Ouest France, Championnat de France, Championnat d’Europe, Championnat du monde… Entre tout cela, j’ai passé un bac littéraire. Je me suis un peu cherchée après le bac, j’ai fait un peu de droit puis je suis allée en école de commerce à La Rochelle et j’ai obtenu un double diplôme français-anglais en commerce international. J’ai fait un an à La Rochelle puis je suis partie à l’étranger (Angleterre, Allemagne, Antilles Anglaises) pour poursuivre mon cursus universitaire et des stages en entreprises. A ce moment-là, en 2003, mon père (ndlr : Bob Escoffier) me dit « je vais faire la Transat Jacques Vabre en IMOCA ». Je lui ai répondu que j’allais la faire avec lui et que j'allais m'organiser pour trouver des petits sponsors ! J’ai donc fini par faire ma première transat en 2003, une grande découverte à 22 ans ! Je suis retournée à l’école à Plymouth et là il fallait faire un stage d’un an. J’ai eu la chance d’être formée chez Ellen MacArthur et Mark Turner sur l’île de Cowes, une super expérience (ndlr : Offshore Challenges aujourd’hui OC Sport) ! Je participe au Vendée Globe en tant que stagiaire puis au record d’Ellen MacArthur sur son tour du monde en solitaire, également en tant que stagiaire. A l’époque, l’entreprise était encore petite donc je touchais à tout, c’était très formateur, d’autant que nous n’étions que deux à parler français. C’était super intéressant !"
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F.N. : Au milieu de ces expériences professionnelles, tu continues à naviguer ?
S.E. : "Oui, entre temps, je naviguais quand même : du match racing, le Tour de France à la Voile en féminin avec des filles géniales qui sont restées mes amies entre autres… A l’époque, j’ai intégré en tant qu’équipière un équipage pro qui gagnait tout : Toulon Provence Méditerranée.
A côté de cela, je préparais mes projets de solitaire et de course au large. En 2005, je reprends un 50 pieds monocoque avec comme ambition la Route du Rhum 2006. J’arrive 3e dans ma catégorie. En 2007, je tente la Figaro mais je me blesse sur la transat.
Puis, pendant Cap Istanbul en Figaro, on me propose de partir faire le tour du monde sur la Barcelona World Race en 2007. A l’époque, les Espagnols voulaient monter un équipage entièrement féminin. J’ai été contactée pour venir former les filles qui excellaient en olympisme mais qui n’avaient pas d’expérience en course au large. Cette année-là cela ne s’est pas fait, les filles sentaient cela un peu prématuré, du coup j’ai tout de même participé avec un catalan, sur l'IMOCA Educación sin Fronteras. Je suis la plus jeune française à boucler un tour du monde en course sans assistance et sans escale. Nous arrivons 5e. Je suis donc qualifiée pour le Vendée Globe. Les Espagnols me mettent le bateau à disposition mais je ne trouve pas de budget, je ne peux pas partir sur le Vendée Globe…
Je continue à naviguer en équipage, en régate ou au large, à tous les postes. Ce qui était très formateur ! En parallèle, je réalisais différentes missions pour gagner ma vie dans le milieu, comme 4 mois avec le Yacht Club de Monaco, etc."
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F.N. : Après la déception de ta non participation au Vendée Globe, quand te relances-tu dans la course au large ?
S.E. : "En 2010, je lance le projet Saint-Malo 2015 avec comme bateau un Ultime de la taille d’un terrain de tennis ! Techniquement très intéressant, je reçois notamment les conseils avisés de Kevin Escoffier et Michel Desjoyeaux pour le changement de mât. On lance alors le sponsoring multi-entreprises ! Saint-Malo 2015 est sponsorisé par 48 entreprises malouines, de toutes les tailles. Je fais alors la Route du Rhum dans la catégorie Ultimes et je termine 7e. C’était génial !
Puis je retrouve Louis Burton au salon nautique pour échanger sur la Jacques Vabre 2011, on s’était rencontrés sur notre stage de survie pour la Route du Rhum. Finalement on ne participe pas à la Jacques Vabre car on fait un premier bébé puis un deuxième. On s’est associés en 2011 et depuis, on travaille ensemble à terre et en mer, et dans la vie de tous les jours. Notre fils Lino arrive en novembre 2011 et notre fille Edith en juillet 2013. En même temps, nous lançons un chantier de construction dont le bateau vainqueur de la Transat Jacques Vabre aux mains de Yannick Bestaven. En 2014, je me relance sur la Route du Rhum mais je suis obligée de faire forfait 4 semaines avant. Je m’entraînais mais cela ne revenait pas, je m’essoufflais, j’étais fatiguée et je suis tombée malade donc interdiction formelle de participer. Ce fut un gros coup dur…
Louis part pour son second Vendée Globe et finalement, je me retrouve avec la casquette de maman, de team manager et de cheffe d’entreprise. C’est comme cela que les choses se font depuis avec des super moments comme des coups durs mais c’est tellement enrichissant ! Et en 2013, nous avons créé Mer Entreprendre, un réseau d’entreprises bretonnes qui soutiennent le projet sportif Espoir. Chaque année, nous sélectionnons un jeune talent pour l’accompagner sur une grande course au large. Tout au long de l’année nous organisons des réunions mensuelles avec l’ensemble des adhérents. Nous invitons des conférenciers. Les journées sont bien chargées !
Enfin en 2017, on part tous les deux sur la Jacques Vabre avec le bateau actuel de Louis sur le Vendée Globe. Nous n’avons pas atteint notre objectif sportif mais humainement, c’était super de revenir en compétition et en plus avec Louis ! Cette année nous fêtons les 10 ans de Be Racing."
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F.N. : Comment vis-tu le Vendée Globe de Louis ?
S.E. : "J’ai un peu hâte que le Vendée Globe se termine pour faire redescendre la pression… Mais en même temps, on vibre, c'est magique, unique. Il y a plein de choses à faire en une journée, on rencontre du monde, on parle technique… c’est top. Je suis le point d’entrée de la direction de course. Il fait un super parcours, c'est MacGyver à toujours faire des réparations dans le bateau tout en faisant une super course !"
F.N. : Et vos enfants ?
S.E. : "Cela dépend des jours. Sur les derniers jours c’est trop speed pour faire des visio et même pour envoyer des messages. Ils sont à la fois à fond et en même temps on a toujours voulu prendre du recul. C’est compliqué car je suis non stop avec mon téléphone tout en leur interdisant les écrans, donc il y a une petite incohérence. On a hâte qu’il rentre ! Ils sont fiers de leur père, cela leur inculque des valeurs fortes."
F.N. : Quels sont vos projets pour la suite ?
S.E. : "Partir en vacances si c’est possible. Puis reprendre les projets."
F.N. : Vous naviguez en famille ?
S.E. : "On navigue en croisière sur un catamaran Plan Lerouge de 43 pieds. On navigue en Bretagne, en Corse… et on va aussi beaucoup à la montagne !"
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F.N. : As-tu ressenti des difficultés dans ta carrière de skipper et de femme d'affaires dues au fait d'être une femme dans un monde encore très masculin ?
S.E. : "J’ai surtout navigué en solitaire puis lorsque c’était en équipage, le plus souvent avec des hommes. J’étais la seule fille à bord mais je ne l’ai jamais trop ressenti. Peut-être dans la vie de chantier mais pas sur l’eau. Puis de toute façon tu apprends à t’affirmer au fur et à mesure. Je n’ai pas essayé de me masculiniser non plus pour exister, j’ai toujours assumé d’être une femme. Si la personne en face est ouverte d’esprit, elle l’est que tu sois un homme ou une femme de toute manière."
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