
C’est une plongée sensorielle et intellectuelle dans les grands fonds que proposent Les Franciscaines cet été. Avec Bleu profond, l’océan révélé, l’institution culturelle de Deauville réunit près de trois siècles de regards portés sur la mer : ceux des naturalistes, des peintres, des poètes, des explorateurs ou encore des artistes d’aujourd’hui. Un fil rouge unit toutes ces visions : la fascination. Celle qui naît face à l’inconnu, face à la beauté brute, face à l’abîme.
Une immersion esthétique et scénographique
Dès les premiers pas, la scénographie signée Constance Guisset enveloppe le visiteur dans une atmosphère bleutée. Un chemin sinueux, comme sculpté par les courants, guide l’oeil et le corps vers une descente métaphorique : des rivages lumineux de l’estran jusqu’aux ténèbres abyssales. L’exposition ne se contente pas d’aligner les oeuvres, elle fait récit. À travers peintures, objets scientifiques, vidéos, sculptures ou installations, le parcours est pensé comme une plongée, où l’émerveillement précède peu à peu l’inquiétude.
Georges Lacombe, Ange Leccia, Jean-Marie Appriou, Nicolas Floc’h, Emile Gallé, Hicham Berrada... La diversité des médiums reflète l’universalité du sujet. La mer n’est pas qu’un décor : elle est un être vivant, un écosystème, un symbole, un territoire d’expérimentation.
Deux siècles d’exploration et de représentation
Commissaire de l’exposition, Jean de Loisy a conçu une traversée historique et poétique. Depuis les premières grandes expéditions scientifiques du XVIIIe siècle jusqu’aux oeuvres vidéos les plus récentes, Bleu profond dévoile la manière dont le monde sous-marin a nourri l’imaginaire collectif.
On y découvre notamment les planches précises de Charles-Alexandre Lesueur, les herbiers de poisson du XVIIIe siècle, les aquariums comme objets de salon bourgeois, les photographies pionnières de Louis Boutan, ou encore les peintures littéralement réalisées sous l’eau par Yiannis Maniatakos. Tous participent à une même entreprise : celle de révéler un monde longtemps invisible.
Des abysses aux urgences contemporaines
Si l’exposition débute dans la curiosité et la contemplation, elle s’achève sur des accents plus sombres. Naufrages, épaves, déchets plastiques, migrations forcées, disparition de la biodiversité... À travers les oeuvres de Miriam Cahn, des Niceaunties ou encore de Damien Hirst, Bleu profond nous rappelle que la mer est aussi un cimetière, un champ de bataille, un miroir de nos excès.
Cette prise de conscience est au coeur du propos porté par Les Franciscaines. À l’heure où les écosystèmes marins s’effondrent, où les abysses deviennent des zones convoitées pour leurs ressources minières, où les courants sont dérégulés par le réchauffement climatique, regarder la mer, c’est aussi apprendre à la protéger.
La mer comme horizon culturel
Autour de l’exposition, Les Franciscaines orchestrent une programmation dense : conférences, concerts, lectures, projections, déambulations poétiques... Des rendez-vous avec Christophe Ono-dit-Biot, Marie-Christine Barrault ou encore Aline Piboule prolongent cette immersion culturelle. Chaque événement tisse un lien entre art, science, mémoire et engagement.
Bleu profond ne se contente pas de montrer la mer, il nous la fait ressentir. Il révèle son pouvoir de fascination, de création, d’éveil. Mais il en montre aussi la fragilité, la vulnérabilité face aux menaces modernes. En cela, l’exposition est autant une célébration qu’un appel. Un appel à voir, à comprendre, à s’émouvoir - et peut-être, à agir.