
Une enfant du vent
Née en 1976 dans le Derbyshire, au cœur de l’Angleterre rurale, Ellen MacArthur grandit loin de la mer. Rien, dans son environnement, ne la prédestine à la navigation. Pourtant, à huit ans, elle tombe sur un vieux livre de voile dans la bibliothèque de son école. Elle y découvre un univers de liberté, d’effort et de solitude. C’est une révélation. Elle commence à économiser sou par sou, glissant son argent de poche dans une boîte à biscuits pour acheter un petit dériveur d’occasion.
Cette obstination, qui frise l’ascétisme, va marquer toute sa trajectoire. À seize ans, elle passe son brevet de voile, puis se forme à la charpenterie navale sur l’île de Wight, travaillant la journée, s’entraînant le soir. À force de détermination, elle parvient à monter ses premières campagnes de course. Elle dort dans sa voiture entre deux régates, répare elle-même ses bateaux, et avance, un mille après l’autre. À 24 ans, elle décroche une deuxième place retentissante sur la Route du Rhum. Deux ans plus tard, elle affronte le Vendée Globe avec une maîtrise impressionnante et termine à nouveau deuxième. Le monde découvre alors une jeune femme aussi tenace qu’introspective, dotée d’une précision redoutable dans la gestion de son navire.
L’exploit de trop
En 2005, après des mois de préparation, Ellen MacArthur se lance dans un tour du monde en solitaire avec pour objectif le record absolu. À bord de B&Q/Castorama, un trimaran de 23 mètres ultra-léger et taillé pour la vitesse, elle affronte les plus grands océans du globe. Les conditions sont rudes, les tempêtes s’enchaînent, les nuits sont courtes, les réparations incessantes. Mais elle tient bon. Le 7 février, après 71 jours, 14 heures, 18 minutes et 33 secondes de navigation, elle franchit la ligne d’arrivée, établissant un nouveau record mondial.
L’Angleterre entière l’acclame. Elle est décorée par la reine, interviewée partout, célébrée comme une héroïne nationale. Et pourtant, derrière les sourires, quelque chose s’est fissuré. Lors de cette boucle planétaire, elle a passé de longues heures à observer l’état des mers, les déchets, les glaces qui fondent, les espèces disparues. Elle s’est confrontée à une réalité plus grande que l’exploit : celle d’une planète à bout de souffle. L’idée fait lentement son chemin. La prochaine course ne se jouera plus sur l’eau.

Repenser le cap
À 34 ans, alors que sa carrière aurait pu prendre un nouvel élan, Ellen MacArthur annonce qu’elle quitte la compétition pour se consacrer à une autre forme d’engagement. Beaucoup ne comprennent pas. Elle, au contraire, estime que c’est la suite logique. « En mer, dit-elle, on vit avec des ressources limitées. Ce que j’ai vécu en mer m’a ouvert les yeux sur ce que nous vivons tous, à l’échelle mondiale. »
C’est ainsi qu’en 2010, elle fonde la Ellen MacArthur Foundation. Son objectif : faire de l’économie circulaire une réponse concrète aux limites du modèle linéaire - produire, consommer, jeter. Très vite, la fondation devient un centre d’expertise reconnu. Ellen s’entoure de chercheurs, d’entrepreneurs, de pédagogues, et propose une autre vision du progrès, centrée sur la régénération des ressources. Elle intervient dans les grandes conférences, conseille les entreprises du Fortune 500, travaille avec les écoles et les décideurs publics. Elle devient une passeuse, une éclaireuse, sans jamais céder à l’emphase ni à l’idéologie.
Une autre forme de navigation
Ellen MacArthur ne navigue plus sur les océans, mais elle continue de tracer des routes. Avec la même rigueur, la même endurance, et ce mélange de force tranquille et de détermination qui ont toujours été sa signature. Là où beaucoup cherchent la visibilité, elle privilégie la cohérence. Pas d’effet d’annonce, pas de posture : juste du travail, de la méthode, et une volonté farouche de changer les choses en profondeur.
Elle ne renie rien de sa vie de navigatrice. Au contraire : elle en a fait une boussole intérieure. Elle raconte souvent comment, en mer, chaque litre d’eau douce est précieux, chaque watt d’énergie est compté, chaque déchet a un poids. Cette discipline de l’autonomie, elle l’a simplement transposée à l’échelle du monde.
Dans un environnement saturé de récits héroïques et de slogans creux, son parcours trace un sillage rare : celui d’une réussite silencieuse, ancrée dans le réel, tendue vers l’avenir. Ellen MacArthur n’a jamais cherché à être une star. Elle voulait aller loin. Et elle y va encore.