Les pirates en Méditerranée : quand la mer du milieu devint un empire de corsaires

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Bien avant les flibustiers des Caraïbes, la Méditerranée fut le berceau d’une piraterie redoutable, structurée et d’une longévité exceptionnelle. Pendant près de deux millénaires, marchands, pêcheurs et marins y naviguèrent entre le commerce et la peur, sur une mer étroite où la richesse côtoyait la misère, et où le vent portait parfois les cris des captifs. De la Grèce antique aux rivages d’Alger, c’est ici que la piraterie s’organisa, se politisa et devint l’un des plus fascinants chapitres de l’histoire maritime.

Bien avant les flibustiers des Caraïbes, la Méditerranée fut le berceau d’une piraterie redoutable, structurée et d’une longévité exceptionnelle. Pendant près de deux millénaires, marchands, pêcheurs et marins y naviguèrent entre le commerce et la peur, sur une mer étroite où la richesse côtoyait la misère, et où le vent portait parfois les cris des captifs. De la Grèce antique aux rivages d’Alger, c’est ici que la piraterie s’organisa, se politisa et devint l’un des plus fascinants chapitres de l’histoire maritime.
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Des racines antiques : les premiers maîtres de la mer

Bien avant les grands corsaires, la piraterie méditerranéenne faisait déjà trembler les empires. Dès le VIe siècle avant J.-C., les pirates égéens s’attaquaient aux routes commerciales reliant les cités grecques, profitant du relief escarpé des îles pour se dissimuler. Dans la mer Tyrrhénienne, les Étrusques pratiquaient eux aussi des raids maritimes, tout comme les Illyriens le long de la côte adriatique.
Ces bandes, souvent issues de populations pauvres vivant du pillage, forçaient les cités marchandes à fortifier leurs ports et à développer de véritables flottes de guerre. À Rome, la menace devint telle qu’en 67 av. J.-C., le Sénat donna à Pompée les pleins pouvoirs pour "nettoyer la mer des pirates". En quelques mois, il détruisit des centaines de navires et captura près de 10 000 hommes. Mais la piraterie, comme souvent, renaquit de ses cendres.

Les corsaires barbaresques : la puissance organisée

C’est à partir du XVIe siècle que la piraterie méditerranéenne atteint son apogée avec les corsaires barbaresques, soutenus par les régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli. Ces marins, à la fois pirates et soldats, servaient les intérêts de l’Empire ottoman en attaquant les navires chrétiens et en capturant les équipages pour les revendre comme esclaves.
Alger devint alors l’un des plus redoutables bastions corsaires du monde. Des milliers de captifs européens, marins, pêcheurs, marchands, y furent réduits en esclavage, contraints de ramer sur les galères ou d’œuvrer dans les arsenaux. Les razzias touchaient parfois les côtes européennes jusqu’en Islande. Les villages côtiers d’Espagne, d’Italie et de Provence vivaient dans la peur des incursions nocturnes, et les tours de guet encore visibles aujourd’hui sur les rivages méditerranéens en sont les témoins silencieux.

Barberousse, Dragut et les seigneurs de la mer

Parmi ces figures, Khair ad-Din Barberousse incarne la légende. Né sur l’île de Lesbos, il devint amiral de la flotte ottomane et fit d’Alger une capitale corsaire prospère. Sa barbe rousse et son pavillon rouge devinrent le symbole de la terreur sur mer. Son lieutenant, Dragut, surnommé "le renard de la Méditerranée", mena des campagnes audacieuses jusqu’en Sicile et en Calabre. Ensemble, ils défiaient les grandes puissances européennes, soutenus par Constantinople.
Face à eux, la riposte s’organisait. Les chevaliers de l’Ordre de Malte, installés sur l’île fortifiée après avoir été chassés de Rhodes, devenaient les corsaires chrétiens les plus redoutés. Leurs galères blanches sillonnaient la mer pour intercepter les navires ottomans et délivrer les captifs. C’était une guerre d’ombre et de mer, où chaque victoire rapportait des fortunes et des privilèges.

Barberousse
Barberousse© Wikipedia

Des zones de prédilection bien connues

Les zones les plus actives de piraterie se situaient autour des Baléares, du Maghreb, de la mer Égée et des côtes adriatiques. Les repaires corsaires profitaient des criques étroites et des vents côtiers pour surgir sans prévenir. À Alger, le port était une véritable forteresse navale ; à Tunis, les arsenaux royaux construisaient sans relâche des galères rapides, conçues pour fondre sur les convois marchands.
Les îles grecques servaient quant à elles de relais pour les trafics, et de nombreux marins devenaient pirates par nécessité économique. À une époque où le commerce maritime représentait la principale source de richesse, le pillage des navires était aussi lucratif que risqué, un métier à mi-chemin entre aventure, survie et stratégie d’État.

Une piraterie très différente de celle des Antilles

Contrairement à leurs homologues des Caraïbes, les pirates méditerranéens n’étaient pas de simples aventuriers. Ils étaient encadrés, armés, financés, parfois même honorés. Les corsaires possédaient des lettres de marque, véritables permis officiels de piller les navires ennemis, ce qui faisait d’eux des agents d’État plus que des hors-la-loi.
Dans les Antilles, la piraterie se voulait plus libre, presque romantique : des marins en rupture, naviguant entre l’Espagne, l’Angleterre et la France, souvent indépendants et désordonnés. En Méditerranée, la mer était trop étroite et trop stratégique pour laisser place à l’improvisation : chaque attaque, chaque capture avait une portée politique. La Méditerranée fut une mer d’empires, et la piraterie y fut un instrument de domination autant qu’un moyen de survie.

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Le déclin des corsaires

Au XIXe siècle, l’équilibre change. Les puissances européennes imposent progressivement leur autorité sur les côtes nord-africaines. En 1816, la Royal Navy bombarde Alger pour mettre fin aux captures d’esclaves européens. En 1830, la conquête française d’Alger marque la chute définitive de la piraterie barbaresque. Les galères disparaissent, remplacées par les navires à vapeur, et la Méditerranée devient une mer contrôlée, régulée, presque docile.
Mais les traces de cette époque demeurent partout : dans les tours génoises de Corse, les fortins de Majorque, les remparts de Malte ou les souks d’Alger. Chacune de ces pierres raconte l’histoire d’un monde où la mer ne séparait pas les peuples, mais les opposait dans une lutte permanente pour le pouvoir et la survie.

Aujourd’hui, la Méditerranée ne garde plus de ces voiles rouges ni de ces galères d’esclaves, mais son horizon reste chargé de mémoire. Sous le soleil et la houle, la mer du milieu continue de raconter l’époque où les vents portaient l’odeur du sel et de la poudre, quand le nom de Barberousse suffisait à faire trembler tout un rivage.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.