
Des racines antiques : les premiers maîtres de la mer
Bien avant les grands corsaires, la piraterie méditerranéenne faisait déjà trembler les empires. Dès le VIe siècle avant J.-C., les pirates égéens s’attaquaient aux routes commerciales reliant les cités grecques, profitant du relief escarpé des îles pour se dissimuler. Dans la mer Tyrrhénienne, les Étrusques pratiquaient eux aussi des raids maritimes, tout comme les Illyriens le long de la côte adriatique.
Ces bandes, souvent issues de populations pauvres vivant du pillage, forçaient les cités marchandes à fortifier leurs ports et à développer de véritables flottes de guerre. À Rome, la menace devint telle qu’en 67 av. J.-C., le Sénat donna à Pompée les pleins pouvoirs pour "nettoyer la mer des pirates". En quelques mois, il détruisit des centaines de navires et captura près de 10 000 hommes. Mais la piraterie, comme souvent, renaquit de ses cendres.
Les corsaires barbaresques : la puissance organisée
C’est à partir du XVIe siècle que la piraterie méditerranéenne atteint son apogée avec les corsaires barbaresques, soutenus par les régences d’Alger, de Tunis et de Tripoli. Ces marins, à la fois pirates et soldats, servaient les intérêts de l’Empire ottoman en attaquant les navires chrétiens et en capturant les équipages pour les revendre comme esclaves.
Alger devint alors l’un des plus redoutables bastions corsaires du monde. Des milliers de captifs européens, marins, pêcheurs, marchands, y furent réduits en esclavage, contraints de ramer sur les galères ou d’œuvrer dans les arsenaux. Les razzias touchaient parfois les côtes européennes jusqu’en Islande. Les villages côtiers d’Espagne, d’Italie et de Provence vivaient dans la peur des incursions nocturnes, et les tours de guet encore visibles aujourd’hui sur les rivages méditerranéens en sont les témoins silencieux.
Barberousse, Dragut et les seigneurs de la mer
Parmi ces figures, Khair ad-Din Barberousse incarne la légende. Né sur l’île de Lesbos, il devint amiral de la flotte ottomane et fit d’Alger une capitale corsaire prospère. Sa barbe rousse et son pavillon rouge devinrent le symbole de la terreur sur mer. Son lieutenant, Dragut, surnommé "le renard de la Méditerranée", mena des campagnes audacieuses jusqu’en Sicile et en Calabre. Ensemble, ils défiaient les grandes puissances européennes, soutenus par Constantinople.
Face à eux, la riposte s’organisait. Les chevaliers de l’Ordre de Malte, installés sur l’île fortifiée après avoir été chassés de Rhodes, devenaient les corsaires chrétiens les plus redoutés. Leurs galères blanches sillonnaient la mer pour intercepter les navires ottomans et délivrer les captifs. C’était une guerre d’ombre et de mer, où chaque victoire rapportait des fortunes et des privilèges.

Des zones de prédilection bien connues
Les zones les plus actives de piraterie se situaient autour des Baléares, du Maghreb, de la mer Égée et des côtes adriatiques. Les repaires corsaires profitaient des criques étroites et des vents côtiers pour surgir sans prévenir. À Alger, le port était une véritable forteresse navale ; à Tunis, les arsenaux royaux construisaient sans relâche des galères rapides, conçues pour fondre sur les convois marchands.
Les îles grecques servaient quant à elles de relais pour les trafics, et de nombreux marins devenaient pirates par nécessité économique. À une époque où le commerce maritime représentait la principale source de richesse, le pillage des navires était aussi lucratif que risqué, un métier à mi-chemin entre aventure, survie et stratégie d’État.
Une piraterie très différente de celle des Antilles
Contrairement à leurs homologues des Caraïbes, les pirates méditerranéens n’étaient pas de simples aventuriers. Ils étaient encadrés, armés, financés, parfois même honorés. Les corsaires possédaient des lettres de marque, véritables permis officiels de piller les navires ennemis, ce qui faisait d’eux des agents d’État plus que des hors-la-loi.
Dans les Antilles, la piraterie se voulait plus libre, presque romantique : des marins en rupture, naviguant entre l’Espagne, l’Angleterre et la France, souvent indépendants et désordonnés. En Méditerranée, la mer était trop étroite et trop stratégique pour laisser place à l’improvisation : chaque attaque, chaque capture avait une portée politique. La Méditerranée fut une mer d’empires, et la piraterie y fut un instrument de domination autant qu’un moyen de survie.

Le déclin des corsaires
Au XIXe siècle, l’équilibre change. Les puissances européennes imposent progressivement leur autorité sur les côtes nord-africaines. En 1816, la Royal Navy bombarde Alger pour mettre fin aux captures d’esclaves européens. En 1830, la conquête française d’Alger marque la chute définitive de la piraterie barbaresque. Les galères disparaissent, remplacées par les navires à vapeur, et la Méditerranée devient une mer contrôlée, régulée, presque docile.
Mais les traces de cette époque demeurent partout : dans les tours génoises de Corse, les fortins de Majorque, les remparts de Malte ou les souks d’Alger. Chacune de ces pierres raconte l’histoire d’un monde où la mer ne séparait pas les peuples, mais les opposait dans une lutte permanente pour le pouvoir et la survie.
Aujourd’hui, la Méditerranée ne garde plus de ces voiles rouges ni de ces galères d’esclaves, mais son horizon reste chargé de mémoire. Sous le soleil et la houle, la mer du milieu continue de raconter l’époque où les vents portaient l’odeur du sel et de la poudre, quand le nom de Barberousse suffisait à faire trembler tout un rivage.
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