Les oiseaux marins, sentinelles de l’océan : ce que leurs migrations révèlent du climat

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

À première vue, ils ne sont que des silhouettes blanches glissant au-dessus des vagues. Mais derrière le vol précis d’un puffin, d’un fou de Bassan ou d’un albatros, se cache une formidable base de données vivante sur l’état des mers. Ces oiseaux, qui parcourent parfois la moitié du globe pour se nourrir ou se reproduire, tracent dans le ciel les lignes d’un climat en mutation. Leurs trajectoires racontent les bouleversements silencieux de l’océan, mieux que n’importe quel capteur.

À première vue, ils ne sont que des silhouettes blanches glissant au-dessus des vagues. Mais derrière le vol précis d’un puffin, d’un fou de Bassan ou d’un albatros, se cache une formidable base de données vivante sur l’état des mers. Ces oiseaux, qui parcourent parfois la moitié du globe pour se nourrir ou se reproduire, tracent dans le ciel les lignes d’un climat en mutation. Leurs trajectoires racontent les bouleversements silencieux de l’océan, mieux que n’importe quel capteur.
Fou de Bassan
Fou de Bassan© AdobeSTock

Des routes millénaires bousculées

Les migrations des oiseaux marins sont parmi les plus longues du règne animal : le puffin fuligineux peut parcourir plus de 60 000 km par an, du Pacifique Sud à l’Atlantique Nord. Pendant des siècles, ces itinéraires se répétaient avec une précision millimétrique. Mais depuis quelques décennies, les chercheurs observent des décalages inquiétants : certaines colonies partent plus tôt, d’autres plus tard, et les destinations changent.
La hausse de la température de surface, la modification des courants et la raréfaction des bancs de poissons contraignent les oiseaux à revoir leurs repères. En Arctique, le retrait de la banquise a poussé certaines espèces comme le guillemot de Brünnich à allonger leurs trajets de plusieurs centaines de kilomètres pour trouver de la nourriture. Dans le Pacifique, des albatros ont modifié leur route historique à cause de l’élargissement de la zone de convergence subtropicale, devenue plus pauvre en proies.
Les satellites et les balises miniatures posées sur les oiseaux confirment cette évolution. En croisant les données GPS avec les cartes de température et de productivité marine, les scientifiques reconstituent le puzzle d’un océan en pleine réorganisation. Chaque migration devient ainsi une observation directe des changements environnementaux en cours.

Des indicateurs naturels du climat

Les oiseaux marins sont considérés comme de véritables « sentinelles » car ils traduisent les variations de l’écosystème marin en comportements mesurables. Quand la température de l’eau augmente, certaines espèces plongent moins profondément, d’autres changent de zone de chasse. Ces ajustements révèlent des déséquilibres dans la chaîne alimentaire.
Les colonies de reproduction constituent également des points d’alerte. Sur plusieurs îles de l’Atlantique Nord, les chercheurs notent une baisse du succès reproducteur des sternes et des macareux : les adultes doivent s’éloigner davantage pour trouver du poisson, laissant les poussins affamés.
Le message est clair : le dérèglement climatique ne se mesure pas seulement à la fonte des glaces ou à la montée des eaux, mais aussi à la fatigue d’un oiseau incapable de retrouver sa route.
Ces changements sont désormais intégrés dans les modèles climatiques : suivre les oiseaux, c’est anticiper la redistribution des ressources marines, et parfois même prédire les futures zones de stress écologique. Dans certains cas, les chercheurs ont pu relier une modification de trajectoire migratoire à une anomalie de température de surface plusieurs mois à l’avance.

Puffin fuligineux
Puffin fuligineux© AdobeSTock


Une relation fragile entre ciel et mer

Les oiseaux marins dépendent de phénomènes complexes : vents dominants, upwellings, zones de productivité. Quand ces mécanismes se dérèglent, leur équilibre s’effondre.
Les tempêtes plus fréquentes, liées au réchauffement global, entraînent des mortalités massives. En 2023, des milliers de puffins ont été retrouvés échoués sur les côtes atlantiques, épuisés après avoir affronté des vents contraires inhabituels. Les scientifiques y voient un signe direct du bouleversement de la circulation atmosphérique.
Même les aires de repos changent. Des espèces naguère fidèles à certaines îles désertent des zones devenues trop chaudes ou trop perturbées par les activités humaines. Les fous de Bassan, par exemple, se déplacent progressivement vers le nord, suivant la migration de leurs proies, sardines et maquereaux, qui fuient les eaux trop tièdes.

Un outil pour la recherche et la conservation

Les programmes de suivi comme Seabird Tracking Database ou BirdLife International Marine Programme ont permis de rassembler des milliers de trajectoires migratoires. Ces données servent aujourd’hui à cartographier les corridors océaniques, à identifier les zones cruciales pour la biodiversité et à orienter la création d’aires marines protégées.
Les oiseaux marins deviennent ainsi des alliés précieux pour la science. Grâce à eux, on peut suivre les variations du plancton, détecter les anomalies thermiques ou estimer les impacts de la surpêche. Ils traduisent en comportements visibles les changements invisibles des mers.

© AdobeStock


Au-delà de leur utilité scientifique, leur observation rappelle à quel point tout est lié : un déséquilibre au large du Groenland peut bouleverser les cycles de reproduction dans l’océan Indien. Et à chaque battement d’aile, les oiseaux tracent la carte mouvante de ce nouveau monde marin.

Regarder passer un albatros, c’est lire dans le ciel l’histoire d’un océan en mutation. Ces oiseaux, témoins silencieux du réchauffement, nous offrent un diagnostic précieux : là où leurs routes s’allongent ou se fragmentent, c’est souvent que la mer change de visage. Leur survie dépend de la santé de l’océan, et la nôtre aussi. Comprendre leurs migrations, c’est donc apprendre à écouter ce que l’océan tente de nous dire : qu’il n’a plus le même rythme, ni la même respiration.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.