Routes des clippers : quand les géants de la voile ont redéfini la vitesse en mer

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Au XIXe siècle, une flotte de voiliers révolutionnaires propulse le commerce mondial dans une ère nouvelle. Les clippers, silhouettes effilées tirant le meilleur du vent, bouleversent les routes commerciales en transformant l’océan en véritable terrain de compétition. Leur passage laisse une empreinte durable dans l’histoire maritime, marquée par des records, des innovations et des routes extrêmes qui ont façonné la navigation moderne.

Au XIXe siècle, une flotte de voiliers révolutionnaires propulse le commerce mondial dans une ère nouvelle. Les clippers, silhouettes effilées tirant le meilleur du vent, bouleversent les routes commerciales en transformant l’océan en véritable terrain de compétition. Leur passage laisse une empreinte durable dans l’histoire maritime, marquée par des records, des innovations et des routes extrêmes qui ont façonné la navigation moderne.
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L’Amérique invente les sprinteurs des océans

Les clippers apparaissent au début des années 1840 aux États-Unis, où la rapidité devient un enjeu économique majeur. Le commerce du thé oblige les armateurs à gagner des semaines sur leurs concurrents britanniques. Pour répondre à cette quête de vitesse, les chantiers navals américains s’affranchissent des formes traditionnelles et s’engagent dans une approche plus scientifique de l’architecture navale. La coque s’affine, le rapport longueur largeur augmente et le centre de voilure est optimisé pour conserver une vitesse élevée même dans les vents faibles.
Le chantier de Donald McKay, à Boston, devient le fer de lance de ce mouvement. McKay conçoit des navires qui combinent puissance et légèreté, en choisissant des essences de bois denses et résistantes comme le pin blanc et le chêne américain. Les voiles quadrangulaires sont taillées pour capter le moindre souffle, tandis que la mâture gagne en hauteur, créant une silhouette immédiatement reconnaissable.
La ruée vers l’or en 1848 accélère la demande. Les navires doivent rallier San Francisco en contournant le cap Horn, l’une des zones les plus dangereuses du globe. Les performances deviennent un argument commercial. Le Flying Cloud, le Champion of the Seas et le Sovereign of the Seas accumulent les traversées éclair, attirant des équipages motivés par les primes de vitesse. Certains journaux maritimes de l’époque publient même des "classements de saison" qui suivent les performances de ces voiliers comme s’il s’agissait d’une régate mondiale permanente.

Le clipper Flying Cloud au large des Needles, Ile de Wight, 1859-1860, par James Buttersworth.
Le clipper Flying Cloud au large des Needles, Ile de Wight, 1859-1860, par James Buttersworth.© Wikipedia


Le Royaume Uni entre dans la course au thé

Très vite, le Royaume Uni répond à l’offensive américaine. Le marché du thé représente un enjeu stratégique pour Londres, qui contrôle alors une grande partie du commerce textile et dépend des importations d’Asie. La Compagnie des Indes orientales perd progressivement son monopole, ce qui ouvre la porte aux armateurs privés et renforce la compétition.
Les chantiers britanniques intègrent des techniques américaines tout en ajoutant leur propre expertise. La coque reste fine mais gagne en rigidité grâce à des renforts métalliques. Les voiles sont adaptées aux vents variables de l’océan Indien. Les tea clippers naissent ainsi dans une atmosphère de rivalité permanente, soutenue par la presse londonienne qui suit chaque départ de la saison du thé.
Les courses entre la Chine et Londres deviennent des événements publics. Des foules se rassemblent à l’entrée de la Tamise pour saluer les premiers arrivants. L’un des épisodes les plus célèbres se déroule en 1866, lorsque le Taeping et l’Ariel partent de Fuzhou le même jour, croisent la moitié de la planète et arrivent à Londres avec moins de deux heures d’écart. Cette saison restera dans l’histoire comme l’une des plus spectaculaires.
Le Cutty Sark, lancé en 1869, pousse encore plus loin la recherche d’un navire parfait. Sa construction, dirigée par le chantier Scott & Linton puis par William Denny, témoigne d’une maîtrise rare du bois, de la mâture et du calcul des efforts. Même si le commerce du thé se ferme peu après à cause du canal de Suez, le navire connaîtra une carrière exceptionnelle sur la route de la laine australienne.

Le Taeping et l'Ariel remontant la Manche pendant la grande course du the de 1866.
Le Taeping et l'Ariel remontant la Manche pendant la grande course du the de 1866.© Wikipedia


Les routes extrêmes des caps, véritable laboratoire du vent

Les clippers forgent une géographie maritime fondée sur les vents dominants. Pour optimiser leur vitesse, les capitaines suivent les trajectoires dictées par les alizés puis plongent dans les grandes latitudes australes, où les vents d’ouest soufflent presque sans interruption. Ces zones, connues sous le nom de quarantièmes rugissants et cinquantièmes hurlants, deviennent leur domaine privilégié. Les vitesses y sont impressionnantes mais les risques considérables.
Le cap Horn, bordé par les eaux glacées de l’Antarctique, impose des conditions extrêmes. Les journaux de bord racontent des creux de plusieurs mètres, des rafales soudaines et des vagues puissantes capables de gifler les mâts jusqu’à la hune. Malgré la dangerosité du passage, les capitaines choisissent souvent de s’en approcher pour capter les vents les plus forts et effacer des dizaines d’heures de retard.
Le cap de Bonne-Espérance, sur la route de la Chine ou de l’Australie, joue un rôle tout aussi crucial. Sa réputation de "graveyard of ships" n’empêche pas les clippers de s’y aventurer. Les marins y testent des techniques de réduction de voilure et de manœuvres rapides qui influenceront plus tard les navires militaires et les voiliers de course du XXe siècle.
Ces routes extrêmes permettent aussi de cartographier plus précisément les vents saisonniers. Les observations des capitaines alimentent les travaux de Matthew Fontaine Maury, pionnier de la météorologie océanique, dont les "sailing directions" deviendront une référence pour les marins du monde entier.

Cutty Sark
Cutty Sark© Wikipedia


Une suprématie brillante mais rapidement dépassée

L’arrivée du vapeur bouleverse complètement le transport maritime. L’ouverture du canal de Suez en 1869 favorise les navires propulsés mécaniquement et condamne presque instantanément les clippers engagés dans le commerce du thé. Les vapeurs réduisent la durée du voyage, ignorent les vents défavorables et assurent une régularité cruciale pour les marchés.
Les clippers se replient alors vers les routes longues où la vapeur reste encore coûteuse, notamment vers l’Australie. La laine devient leur nouvelle spécialité. Le Cutty Sark, le Thermopylae et le Leander s’illustrent sur cette ligne exigeante, où les distances élevées permettent encore à la voile d’exprimer son potentiel.
Mais l’industrie avance vite. Les vapeurs à coque métallique gagnent en puissance, les moteurs au compound améliorent les autonomies et les charbonnages se multiplient dans les ports du monde entier. À partir des années 1880, la plupart des clippers sont désarmés, convertis en navires-écoles ou transformés en cargos lents.

Un héritage encore bien vivant dans la culture maritime

Même disparus, les clippers restent des modèles de performance. Leur architecture influence les voiliers de course du début du XXe siècle et nourrit encore aujourd’hui la réflexion des architectes navals autour du rapport poids puissance. Les courses modernes autour du monde puisent dans cette culture de la vitesse, du choix des vents et de l’optimisation des trajectoires.
Leur apport scientifique est tout aussi important. Les journaux de route des clippers constituent une source exceptionnelle pour comprendre la climatologie mondiale du XIXe siècle. Ils participent à l’élaboration des premières cartes des alizés, des vents d’ouest et des régimes de houle, fondements du routage moderne.
Leur héritage culturel reste vivant grâce aux grandes unités encore préservées. Le Cutty Sark, amarré à Greenwich, demeure l’un des témoignages les plus impressionnants de cette période. Sa restauration méticuleuse donne une idée précise de ce que représentait un clipper en pleine gloire, avec ses voiles immenses et sa coque d’une élégance singulière.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Cyrille Duchesne
Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.