Révolution silencieuse : comment l’impression 3D redessine la construction navale

Equipements
Par Mark Bernie

L’impression 3D n’est plus une curiosité de laboratoire. Des moules de coques aux pièces structurelles en métal, des prototypes de bateaux électriques aux équipements de course au large, la fabrication additive s’impose désormais comme l’un des leviers majeurs d’innovation dans la construction navale. Une mutation profonde, à la fois technologique et logistique, qui touche autant les architectes, les chantiers que les plaisanciers.

L’impression 3D n’est plus une curiosité de laboratoire. Des moules de coques aux pièces structurelles en métal, des prototypes de bateaux électriques aux équipements de course au large, la fabrication additive s’impose désormais comme l’un des leviers majeurs d’innovation dans la construction navale. Une mutation profonde, à la fois technologique et logistique, qui touche autant les architectes, les chantiers que les plaisanciers.

L’impression 3D au service de la construction navale

Du prototype de foil à la pièce métallique installée sur un porte-avions, la fabrication additive (le terme exact pour impression 3D) n’est plus un gadget. En quelques années, elle s’est invitée dans les bureaux d’études, les ateliers de moules puis dans les salles des machines. Pour les chantiers comme pour les plaisanciers, cette révolution silencieuse modifie déjà la manière de concevoir, construire et entretenir un bateau.

Une révolution moins spectaculaire qu’un bateau « imprimé », mais bien plus profonde

Lorsqu’on évoque l’impression 3D et le nautisme, les projecteurs se braquent souvent sur quelques démonstrations spectaculaires. En 2019, l’université du Maine imprime en 72 heures un bateau de 7,62 m, pesant 2,2 tonnes, devenant le plus grand objet monobloc jamais réalisé en impression 3D. Quelques années plus tard, la start-up italienne Moi Composites met à l’eau MAMBO, un day-boat de 6,5 m en fibre de verre imprimé par robots, affichant une géométrie impossible à produire via des moules traditionnels. Plus récemment, un bateau électrique de 9 m, conçu pour la navigation urbaine, a été testé à Paris après une construction intégralement imprimée en matériau recyclable.

Ces démonstrateurs impressionnent, mais l’essentiel se joue ailleurs. La véritable rupture se situe aujourd’hui dans la fabrication des moules, des pièces secondaires et de la logistique des pièces de rechange.

Imprimer les moules plutôt que la coque : un changement majeur pour les chantiers

Dans la construction de série, la fabrication des modèles et des moules représente un investissement conséquent en temps et en matière. L’impression 3D grand format bouscule cet équilibre. Certaines machines capables d’imprimer des volumes supérieurs à 4 mètres permettent désormais de produire directement des moules ou des modèles de coque en PET recyclé. Résultat : des cycles de développement raccourcis, moins de matière consommée et une grande souplesse pour créer des variantes ou des personnalisations.

Dans plusieurs chantiers européens, des moules de sections de pont, de roof ou de coques entières sont désormais imprimés en quelques jours avant d’être surfacés et renforcés. Les coûts baissent, les délais se resserrent et le passage du plan à l’atelier devient plus fluide pour tous les acteurs de l’industrie nautique.

Coques et structures imprimées : promesses et limites

Même si elles restent marginales, les coques imprimées progressent rapidement. Des robots déposent des polymères chargés en fibre de verre pour créer des structures monoblocs en une quarantaine d’heures. Certaines architectures de renforts, impossibles à obtenir par stratification classique, deviennent réalisables grâce à l’impression en fibres continues.

Les gains sont significatifs : allégement, intégration de volumes internes, réduction des déchets et optimisation des formes. Les limites existent toutefois. La finition mécanique demeure souvent lourde et les performances dépendent fortement de l’adhérence entre couches ou de l’orientation des dépôts. Ces technologies restent pour l’instant essentiellement utilisées dans la recherche, la course au large ou la navigation côtière.

Une révolution logistique : produire la pièce là où se trouve le bateau

L’impression 3D prend une ampleur considérable dans la maintenance. Plutôt que de stocker des milliers de pièces, les industriels conservent désormais des fichiers numériques et fabriquent à la demande. Plusieurs chantiers militaires ou civils ont déjà imprimé des pièces métalliques complexes, installées à bord de navires en service.

Cette approche intéresse directement le milieu de la plaisance. À terme, un chantier ou un shipchandler pourra imprimer une pièce rare ou introuvable à partir d’un fichier certifié. Certaines entreprises impriment déjà des réas, des supports de pilote automatique ou des composants de safran issus de scans 3D, réduisant drastiquement les délais d’approvisionnement.

Les bateaux de course ouvrent la voie

Dans la course au large, la fabrication additive a trouvé sa place. Sur les Imoca, des réas en inox imprimés en une vingtaine d’heures sont testés en conditions extrêmes. Dans la Coupe de l’America, plusieurs équipes utilisent régulièrement l’impression métallique pour optimiser des pièces hydrauliques ou des systèmes de contrôle.

Ces programmes hautes performances servent de laboratoire. Les techniques de modélisation, de contrôle et d’optimisation descendent progressivement vers les gammes de plaisance, comme ce fut le cas pour le carbone ou les logiciels de calcul de structure.

Un nouveau terrain de jeu pour les architectes navals

L’impression 3D ne se contente pas de reproduire des pièces existantes. Elle impose une nouvelle logique de conception. Les architectes navals peuvent désormais intégrer des renforts internes, créer des géométries organiques ou concevoir des pièces multi-fonctions impossibles à obtenir par usinage traditionnel.

Les centres d’expertise développent aussi des filières de recyclage des matériaux imprimés, un enjeu crucial pour une industrie qui cherche à réduire son empreinte environnementale.

Et pour le plaisancier ?

Très concrètement, trois évolutions se profilent :

Des pièces disponibles plus rapidement, notamment pour réparer une pièce introuvable en voyage.

Une personnalisation accrue, depuis le support d’instrument jusqu’aux rangements sur mesure.

Une meilleure compréhension des limites, car toutes les pièces imprimées ne répondent pas encore aux standards de sécurité établis. Les sociétés de classification et les assureurs travaillent activement à définir ces nouvelles règles.

Une transformation déjà en cours

L’impression 3D transforme discrètement mais profondément la construction navale. Les bateaux entièrement imprimés resteront encore rares, mais les moules, les renforts internes, les pièces techniques et la logistique sont déjà bouleversés.

Pour les constructeurs, c’est un levier d’agilité inédit. Pour les architectes, une nouvelle liberté créative. Pour les navigateurs, une promesse de bateaux mieux conçus, plus durables et plus faciles à maintenir. Une révolution douce, mais implacable, qui redéfinit peu à peu la manière dont un bateau prend forme, vie... et mer.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.