
L’impression 3D au service de la construction navale
Du prototype de foil à la pièce métallique installée sur un porte-avions, la fabrication additive (le terme exact pour impression 3D) n’est plus un gadget. En quelques années, elle s’est invitée dans les bureaux d’études, les ateliers de moules puis dans les salles des machines. Pour les chantiers comme pour les plaisanciers, cette révolution silencieuse modifie déjà la manière de concevoir, construire et entretenir un bateau.
Une révolution moins spectaculaire qu’un bateau « imprimé », mais bien plus profonde
Lorsqu’on évoque l’impression 3D et le nautisme, les projecteurs se braquent souvent sur quelques démonstrations spectaculaires. En 2019, l’université du Maine imprime en 72 heures un bateau de 7,62 m, pesant 2,2 tonnes, devenant le plus grand objet monobloc jamais réalisé en impression 3D. Quelques années plus tard, la start-up italienne Moi Composites met à l’eau MAMBO, un day-boat de 6,5 m en fibre de verre imprimé par robots, affichant une géométrie impossible à produire via des moules traditionnels. Plus récemment, un bateau électrique de 9 m, conçu pour la navigation urbaine, a été testé à Paris après une construction intégralement imprimée en matériau recyclable.
Ces démonstrateurs impressionnent, mais l’essentiel se joue ailleurs. La véritable rupture se situe aujourd’hui dans la fabrication des moules, des pièces secondaires et de la logistique des pièces de rechange.
Imprimer les moules plutôt que la coque : un changement majeur pour les chantiers
Dans la construction de série, la fabrication des modèles et des moules représente un investissement conséquent en temps et en matière. L’impression 3D grand format bouscule cet équilibre. Certaines machines capables d’imprimer des volumes supérieurs à 4 mètres permettent désormais de produire directement des moules ou des modèles de coque en PET recyclé. Résultat : des cycles de développement raccourcis, moins de matière consommée et une grande souplesse pour créer des variantes ou des personnalisations.
Dans plusieurs chantiers européens, des moules de sections de pont, de roof ou de coques entières sont désormais imprimés en quelques jours avant d’être surfacés et renforcés. Les coûts baissent, les délais se resserrent et le passage du plan à l’atelier devient plus fluide pour tous les acteurs de l’industrie nautique.
Coques et structures imprimées : promesses et limites
Même si elles restent marginales, les coques imprimées progressent rapidement. Des robots déposent des polymères chargés en fibre de verre pour créer des structures monoblocs en une quarantaine d’heures. Certaines architectures de renforts, impossibles à obtenir par stratification classique, deviennent réalisables grâce à l’impression en fibres continues.
Les gains sont significatifs : allégement, intégration de volumes internes, réduction des déchets et optimisation des formes. Les limites existent toutefois. La finition mécanique demeure souvent lourde et les performances dépendent fortement de l’adhérence entre couches ou de l’orientation des dépôts. Ces technologies restent pour l’instant essentiellement utilisées dans la recherche, la course au large ou la navigation côtière.
Une révolution logistique : produire la pièce là où se trouve le bateau
L’impression 3D prend une ampleur considérable dans la maintenance. Plutôt que de stocker des milliers de pièces, les industriels conservent désormais des fichiers numériques et fabriquent à la demande. Plusieurs chantiers militaires ou civils ont déjà imprimé des pièces métalliques complexes, installées à bord de navires en service.
Cette approche intéresse directement le milieu de la plaisance. À terme, un chantier ou un shipchandler pourra imprimer une pièce rare ou introuvable à partir d’un fichier certifié. Certaines entreprises impriment déjà des réas, des supports de pilote automatique ou des composants de safran issus de scans 3D, réduisant drastiquement les délais d’approvisionnement.
Les bateaux de course ouvrent la voie
Dans la course au large, la fabrication additive a trouvé sa place. Sur les Imoca, des réas en inox imprimés en une vingtaine d’heures sont testés en conditions extrêmes. Dans la Coupe de l’America, plusieurs équipes utilisent régulièrement l’impression métallique pour optimiser des pièces hydrauliques ou des systèmes de contrôle.
Ces programmes hautes performances servent de laboratoire. Les techniques de modélisation, de contrôle et d’optimisation descendent progressivement vers les gammes de plaisance, comme ce fut le cas pour le carbone ou les logiciels de calcul de structure.
Un nouveau terrain de jeu pour les architectes navals
L’impression 3D ne se contente pas de reproduire des pièces existantes. Elle impose une nouvelle logique de conception. Les architectes navals peuvent désormais intégrer des renforts internes, créer des géométries organiques ou concevoir des pièces multi-fonctions impossibles à obtenir par usinage traditionnel.
Les centres d’expertise développent aussi des filières de recyclage des matériaux imprimés, un enjeu crucial pour une industrie qui cherche à réduire son empreinte environnementale.
Et pour le plaisancier ?
Très concrètement, trois évolutions se profilent :
Des pièces disponibles plus rapidement, notamment pour réparer une pièce introuvable en voyage.
Une personnalisation accrue, depuis le support d’instrument jusqu’aux rangements sur mesure.
Une meilleure compréhension des limites, car toutes les pièces imprimées ne répondent pas encore aux standards de sécurité établis. Les sociétés de classification et les assureurs travaillent activement à définir ces nouvelles règles.
Une transformation déjà en cours
L’impression 3D transforme discrètement mais profondément la construction navale. Les bateaux entièrement imprimés resteront encore rares, mais les moules, les renforts internes, les pièces techniques et la logistique sont déjà bouleversés.
Pour les constructeurs, c’est un levier d’agilité inédit. Pour les architectes, une nouvelle liberté créative. Pour les navigateurs, une promesse de bateaux mieux conçus, plus durables et plus faciles à maintenir. Une révolution douce, mais implacable, qui redéfinit peu à peu la manière dont un bateau prend forme, vie... et mer.
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