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Lors de la 4ème Journée Nationale du Droit de la Plaisance et du Nautisme, organisée par Legisplaisance (Association du droit de la plaisance et du nautisme) le 7 juin dernier, nous avons pu rencontrer de nombreux intervenants et notamment des spécialistes de la législation maritime (avocats, assureurs, responsables aux Affaires maritimes). Ces derniers nous ont introduits au cadre législatif, encore flou, qui règlemente les nouveaux moyens de naviguer.
Qu’est-ce que la plaisance collaborative ?
Avant tout, il est important de définir ce que l’on appelle aujourd’hui la plaisance collaborative. La navigation attire des milliers de Français, un attrait qui ne cesse de croître. Selon un récent rapport du Ministère de la Transition écologique et solidaire, le nombre de plaisanciers atteint aujourd’hui les 13 millions, pour une flotte de plus d’un million d’unités dont 74,6% sont des navires à moteur.
Parmi ces plaisanciers, des propriétaires qui naviguent peu « on remarque que les propriétaires utilisent en moyenne leur bateau deux semaines par an », comme le précise Jules Lalonde de la société de location Nautal, une plateforme de location de bateaux basée en Espagne. Cette dernière met en relation des loueurs de bateaux avec des plaisanciers dans le monde entier. Une utilisation trop peu rentable donc pour ces propriétaires. Pour certains, une notion de rentabilité s’impose. A l’image de AirbnB qui permet de louer sa maison, on peut désormais mettre son embarcation en location tout au long de l’année, ou même trouver des co-équipiers pour diminuer les coûts d’une navigation. Nautal, Click & Boat, Wiziboat, Samboat, GlobeSailor, Vogavecmoi, SailEazy, Skippair… pléthore de sites internet et applications smartphones dérivées existent. Globalement, tous proposent le même type de service à savoir la mise en relation avec des loueurs professionnels ou des particuliers, aux quatre coins du monde et à des tarifs plus attractifs les uns que les autres. Alors, comment choisir ? Comment faire le tri entre la co-navigation, la location à la cabine, la bourse aux équipiers… ?
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La co-navigation, sujet à controverse.
S’il y a bien un terme qui divise aujourd’hui, c’est celui de la co-navigation. A l’origine, il y a l’entreprise Vogavecmoi et son fondateur, Antoine Penot, qui revendique le terme de co-navigation et dénonce son détournement par des sociétés qui l’utilisent tout en proposant de la location avec skipper, ou à la cabine, venant ainsi semer le trouble dans l’esprit du public.
La co-navigation au sens strict du terme, correspond à un partage des frais lors d’une navigation entre toutes les personnes présentes à bord. Le propriétaire embarque à ses côtés des co-équipiers qui acceptent de partager équitablement la caisse de bord : il n’y a ici aucun profit pour le propriétaire, uniquement la réduction du coût du voyage. Certains sites comme Vogavecmoi proposent donc une bourse aux équipiers, exactement sur le même principe que BlablaCar. Mais ici, la nuance est importante. Lorsqu’un particulier « vend » une place à bord de son bateau, pour une traversée de 1h comme de deux semaines, il y a une notion de rentabilité. Dans cette situation, le propriétaire facture le voyage ce qui s’apparente à du transport de passagers. Jérôme Heilikman, président de Legisplaisance ajoute « la conavigation, si elle ne correspond pas à un strict partage équitable des frais à bord, s'assimile à une activité commerciale et engendre des sanctions pénales qui seront de l’ordre du délit, cela dépend de sa gravité, mais la sanction peut aller jusqu'à un retrait de permis si la conavigation concerne un bateau à moteur, ou à une confiscation de bateau ».
Lionel Boismery, Président d’April Marine (assurance plaisance), nous précise bien que la co-navigation est un usage d’agrément par un particulier tant qu’il y a un partage des coûts et qu’il n’y a pas de but lucratif derrière l’utilisation du bateau de plaisance. Concernant l’assurance, le bateau sera assuré uniquement s’il remplit les critères précédents.
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Plaisance VS transport de passagers
Un bateau de plaisance n’est pas habilité à effectuer du transport de passagers. Pour des raisons de sécurité, seul un navire professionnel peut se permettre ce type de service. Il doit remplir des critères stricts, notamment la possession d’un permis d’armement. On parle alors de NUC : Navire à Utilisation Commerciale. La règlementation des navires de plaisance en mer stipule que « l’exercice du transport de passagers à titre onéreux à partir d’un navire non NUC, ou sans disposer d’un brevet de commandement, constitue une infraction grave d’exercice illégal du commandement et peut être requalifié de travail dissimulé. ». Du cobaturage donc.
Quid de la location avec skipper ?
La location avec skipper vous propose de profiter du plaisir de la voile sans vous soucier de la navigation ni de la météo. Une formule qui séduit les plaisanciers néophytes. Cependant, à cause du développement de la plaisance collaborative, certains plaisanciers ont trouvé le moyen de détourner cette pratique. La plus courante reste celle d’un propriétaire de bateau de plaisance qui décide de faire office de skipper sur son propre bateau. Il va alors signer le contrat de travail lui-même et se faire rémunérer sans se déclarer. C’est ce que l’on appelle du « skippage déguisé ». Par cette action, il est donc l’instigateur d’une concurrence déloyale et de travail dissimulé, qui comme nous l’avons vu précédemment est sanctionné par la loi.
A noter que si vous souhaitez louer votre bateau, en tant que particulier, vous devez déclarer votre location et les revenus perçus.
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Quelle règlementation encadre la location avec skipper ?
Un skipper doit remplir des conditions strictes pour pouvoir faire naviguer un bateau et prétendre à une rémunération :
- Condition académique : un marin doit obtenir un brevet cohérent avec sa position. Si le marin est skipper (donc chef à bord du bateau), il doit obligatoirement être en possession du brevet et de la formation de capitaine 200, en France.
- Condition physique : chaque année, les marins ont l’obligation de faire une visite de santé auprès du médecin du service de santé des gens de mer et répondre à des conditions d’aptitude physique définies par des règlementations nationales et internationales pour pouvoir exercer leur métier.
- Conditions de moralité : un marin doit être en possession d’un casier judiciaire vierge.
- Conditions de nationalité : il doit être en situation légale sur le territoire où il navigue.
Toutes ces aptitudes justifient le coût supplémentaire supporté lors d’une location de bateau traditionnelle avec skipper.
Afin de régulariser la situation et diminuer la fraude, de nouveaux brevets sont apparus. Ils ont été créés pour faciliter l’activité lucrative sur des petits navires, notamment par rapport à la plaisance côtière. Les plaisanciers désireux d’offrir un service de chef de bord ne sont désormais plus obligés de passer le brevet de capitaine 200. Depuis décembre 2017, il y a trois nouveaux brevets : le brevet d’aptitude à la conduite des petits navires, des brevets restreints, et un brevet d’aptitude à la conduite des petits navires à moteur. Ces nouveaux brevets visent à encadrer l’économie collaborative. Ils créent un juste-milieu, entre les plaisanciers qui n’ont aucune qualification, mais qui souhaitent faire de la sortie en mer payante, et les marins qui possèdent le brevet « capitaine 200 ».
La grande majorité des loueurs traditionnels (Catlante Catamarans, Moorings…) propose l’option « avec skipper » lors de la location. Idem pour les plateformes de mise en relation. Pour Jean-Luc Siméon, PDG de Catlante Catamarans, qui ne propose que de la location avec skipper et équipage, c’est une évidence : le personnel présent à bord doit être professionnel et qualifié. « Nous sommes classifiés navire marchand avec toutes les contraintes que cela représente, notamment sur la plan de la sécurité. Nous sommes soumis à des règles que les bateaux de plaisance n’ont pas. Nous proposons à nos clients un service complet : nous fournissons le bateau avec un équipage, la nourriture à bord… Tout est déjà prêt ils n’ont plus qu’à embarquer et découvrir les joies de la plaisance. C’est de la location à la cabine dans les règles. »
La location entre particuliers
A une époque pas si lointaine, louer un bateau était plutôt simple : il suffisait de se rendre chez un des nombreux loueurs présents sur la façade littorale. Avec l’avènement du Net, nombre de loueurs dits aujourd’hui traditionnels se sont imposés sur le marché, à l’image de Moorings/Sunsail et Dream Yacht Charter. Par ailleurs, il y a les « Airbnb » de la voile (Boaterfly, Samboat, Nautal, Wiziboat…) qui redistribuent les cartes avec des offres plus « sexy » et surtout, bien plus nombreuses. Comment faire le tri entre ces milliers d’offres ? Quand Click&Boat ou Samboat se disent leader sur le marché de la location de bateaux entre particuliers, difficile de savoir à quel saint se vouer…
La location entre particuliers se construit d’un commun accord entre deux parties. Pour que l’opération soit légale, le loueur devra déclarer la location et les revenus générés par celle-ci, comme vu précédemment. Toutes les conditions de modalités d’utilisation du bateau doivent être présentes au sein de l’accord. Il doit comprendre une date de début et de fin de location, avec un lieu de départ et un lieu d’arrivée. Si un de ces éléments n’est pas respecté, une rupture du lien contractuel s’opère, suivie de sanctions.
A noter que, contrairement à la location avec skipper, il n’y a pas de justification légale quant au professionnalisme et à l’expérience du loueur. « Aucun document officiel à exiger mais il peut demander un CV nautique, cependant cela reste du déclaratif. C’est une déclaration sur l’honneur. Pour un bateau à moteur, le permis côtier ou hauturier est gage d’expérience. » explique Jérôme Heilikman, fondateur et président de Legisplaisance.
Quelle règlementation encadre la location entre particuliers et comment dois-je m’assurer ?
Un bateau de plaisance à usage personnel est règlementé dans le décret 84-810 du 30 août 1984 : « tout navire de plaisance utilisé à titre privé par son propriétaire, une association à but non lucratif, un locataire qui en a l'entière disposition ou un emprunteur à titre gratuit, pour une navigation de loisir ou de sport, sans qu'il puisse être utilisé pour une activité commerciale à l'exception de l'affichage de messages de parrainage. »
Concernant l’assurance, posséder un bateau et le louer à un particulier, revient à effectuer un usage locatif de son bien, ce qui équivaut à en faire un usage commercial. Pour pouvoir être assuré correctement, vous aurez besoin d’un contrat additionnel au contrat d’assurance simple. Un contrat de plaisance normal ne couvre pas ce type d’utilisation. Certaines assurances, comme la MAIF, proposent ce type d'assurance spécifique "tous risques". Attention : certains sites de location entre particuliers sont uniquement des plateformes de mise en relation, en aucun cas elles ne couvrent votre location, votre navigation et les problèmes qui peuvent en découler. Certaines peuvent proposer une assurance complémentaire à prix attractif au moment de votre réservation. D'autres mettent en ligne des annonces de location avec des bateaux déjà assurés par leur propriétaire : renseignez-vous en amont auprès de votre assurance, d’un assureur spécialisé plaisance ou directement auprès de la plateforme en question.
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Les Boat Clubs : la location à la carte
Concept provenant des Etats-Unis, on trouve désormais des Boat Clubs partout en France. Le principe est de pouvoir disposer d’un bateau à tout moment, sans les contraintes des formalités (inventaire, prise en main, caution, signature de contrat). Pour pouvoir bénéficier des bateaux du club, le plaisancier paye un droit d’entrée et un abonnement mensuel. Selon la formule choisie, chaque membre peut naviguer toute l’année, sans caution ni intermédiaire et sans se soucier de l’entretien du bateau, de la place du port ou encore de l’hivernage. Seul le carburant reste à la charge des membres du Boat Club.
Quelle règlementation encadre les Boat Clubs et comment dois-je m’assurer ?
L’assurance des bateaux de plaisance au sein des Boat Clubs est identique à un contrat professionnel de location de bateaux. De plus, les personnes abonnées à cette structure sont généralement des plaisanciers avertis. Les assureurs estiment donc que les Boat Clubs présentent un risque moindre de sinistres, par rapport à une location traditionnelle.
Pour plus d'informations sur les Boat Clubs, retrouvez notre dossier publié dans notre hors-série Guide de l'été !
Location maritime : la norme ISO 20410
A noter que la Fédération des Industries Nautiques (FIN) a contribué activement à la rédaction de la norme internationale ISO 20410 : 2017, intitulée "Tourisme et services connexes - Location de bateaux sans équipage - Exigences minimales de service et d'équipement" qui porte sur les exigences de qualité en matière de fourniture de services (information, assurance, contrat, modalités de remise et restitution), de fourniture d’équipements (de navigation, de communication, de sécurité) et d’informations contenues dans le manuel du bateau (caractéristiques, instructions). La FIN invite l’ensemble des professionnels français de la location maritime à mettre en application les exigences de cette norme et à valoriser leur implication dans cette démarche d’amélioration continue de leur qualité de service auprès de leur clientèle française et internationale.
Vous pouvez la consulter ici : https://www.iso.org/fr/standard/67922.html
Notre avis
Dans un marché ultra-concurrentiel où chacun tente de se différencier et de tirer son épingle du jeu à coup de super offres, de codes promos et d’avantages, il est de plus en plus complexe pour le plaisancier de faire son choix, et par dessus tout, de le faire bien !
Pour une plateforme de location de bateaux comme Nautal, la démocratisation de la plaisance est une bonne chose. Le nautisme se développe et n’est désormais plus réservé à une élite de propriétaires fortunés. Chaque acteur de cette économie dématérialisée répond à un besoin précis pour un plaisancier, novice ou confirmé. Mais face à ce constat, un loueur dit « traditionnel » comme Catlante Catamarans qui propose des croisières en location à la cabine et domine son sujet depuis de nombreuses années en tant qu'expert, s’indigne : la législation est bien trop floue et le développement de la plaisance collaborative, et notamment de la location entre particuliers, pas assez règlementée : n’importe quel plaisancier, confirmé ou non, peut désormais s’improviser skipper en dépit des règles établies (brevet de Capitaine 200, marine marchande, assurance).
Si cette démocratisation des offres de navigation attire de nouveaux adeptes, souvent plus jeunes, qui deviennent consommateurs de la mer, il est nécessaire de rappeler que la navigation ne s’improvise pas et qu’il ne faut pas négliger l’assurance avant tout embarquement, ainsi que la météo.