
Figaro Nautisme : Comment vous est venue l’idée de lancer un chantier de catamarans semi-custom au début des années 2000 ?
Jurg von Ins : "Mon histoire avec le multicoque et plus précisément le catamaran a commencé aux Seychelles. C’était au début des années 2000. En vacances dans ces îles paradisiaques, je voyais au mouillage de magnifiques catamarans, devant les plages. Pour être honnête, j’étais un peu jaloux de ceux qui étaient à bord et profitaient bien mieux que moi de leurs vacances en passant d’une île à l’autre, d’une plage de rêve à un mouillage idyllique. Cela avait l’air tellement bien, confortable, pas de gîte. De retour des Seychelles, j’ai voulu en apprendre davantage sur ces bateaux et je me suis rendu au salon nautique de Paris. Cette année-là, 5 catamarans étaient exposés. J’ai eu un vrai coup de cœur, mais aucun catamaran visité ne correspondait totalement à mes attentes. Et puis au détour d’une allée, je me suis arrêté devant une maquette de catamaran. Sur le stand, j’ai rencontré un skipper passionné et nous avons longuement parlé de catamarans, des avantages et inconvénients, du chantier, de la construction... Une discussion passionnante. Mais l’heure tournait et je devais reprendre l’avion pour Genève...
Peu de temps après, le chantier Sud Composites m’a recontacté et nous avons longuement échangé. J’aimais le projet du bateau, un catamaran dénommé Switch 55 dessiné par VPLP. Le courant est tout de suite bien passé avec les dirigeants et je me suis lancé dans l’achat de mon premier catamaran. Mais le chantier avait des problèmes de trésorerie et j’ai dû rentrer dans le capital. Les difficultés s’accumulant, j’ai pris le contrôle du chantier pour finir mon bateau et même en construire un second. C’est ainsi que j’ai commencé, à la fois comme propriétaire d’un catamaran, mais aussi comme constructeur. Le Switch était un superbe bateau, très marin. J’ai énormément navigué avec le mien et j’ai d’excellents souvenirs à bord, notamment avec Jean-Pierre, le fameux skipper qui m’avait accueilli sur le stand à Paris. Transat, America’s Cup à Valence. Nous avons vécu de belles aventures. Mais le catamaran datait un peu par rapport à ses concurrents. J’ai donc décidé de commencer une nouvelle histoire : celle du catamaran suisse et j’ai créé la marque Swiss Catamarans. J’ai alors cherché un architecte pour donner vie à ma vision du bateau de croisière. La rencontre avec Sébastien Schmidt, qui avait notamment dessiné les Décision 35, a permis de développer le tout premier Swisscat. Un catamaran de voyage de 55 pieds ! Nous étions en 2007 et c’est là tout a vraiment commencé."
Figaro Nautisme : Comment vous êtes-vous organisé pour la construction du bateau ?
Jurg von Ins : "Je souhaitais une construction vraiment aux meilleurs standards avec une excellente finition. Nous avons donc pris contact avec plusieurs constructeurs et, finalement, nous avons trouvé en Turquie un chantier capable de répondre à nos exigences. Nous avons alors lancé la construction du premier 55 Swisscat puis rapidement d’un second. Nous avons présenté le premier 55 à Cannes en 2009."
Figaro Nautisme : Comment définissez-vous l’esprit Swisscat Yachts ?
Jurg von Ins : "Nos bateaux sont des catamarans conçus à la fois pour s’amuser en navigation, pour aller loin dans un grand confort et surtout, en toute sécurité. Quand on navigue en voyage, on est rarement tout seul et l’aventure se vit généralement en famille ou entouré de personnes chères. La sécurité est, de mon point de vue, primordiale. Les Swiss Catamarans sont des bateaux capables d’aligner des milles à bonne moyenne pour se sortir d’un mauvais pas météo. D’où le choix d’un bateau à dérives, du mât carbone, d’un joli plan de voile... 55 pieds nous parait être la taille idéale pour obtenir un excellent confort, un bon passage dans la mer et un bateau maniable sans souci par une personne seule, ce qui est souvent le cas en équipage familial.
Le dernier né du chantier est plus large [8,50 m contre 7,50 m pour l’ancien Swiss 55], avec plus de toile. Nous atteignons ainsi une vitesse de croisière de 11 nœuds sous voile très facilement et, au moteur, nous sommes à 9 nœuds à 2000 tours/minute."
Figaro Nautisme : Les bateaux d’aujourd’hui sont de plus en plus complexes mais aussi plus confortables et paradoxalement plus faciles à manœuvrer. Comment voyez-vous l’évolution de vos bateaux dans 10 ou 15 ans ?
Jurg von Ins : "Je vois avec beaucoup d’intérêt les évolutions que certains constructeurs proposent mais... je n’y crois pas vraiment ! Nous parlons de voiliers et, pour moi, c’est donc les voiles et les carènes qui sont la priorité. Je préfère largement investir dans un bon jeu de voile bien étudié pour le bateau plutôt que dans une motorisation électrique dont je ne vais pas me servir, puisque nos bateaux avancent très bien à la voile et n’ont pas besoin de faire des heures au moteur pour avancer... Sans compter qu’un bon bateau de voyage se doit d’être simple, facile à mener et à entretenir. On ne part pas en grand voyage pour s’arrêter régulièrement pour réparer ou régler un problème. Ce n’est pas ma vision du voyage en voilier !"
Figaro Nautisme : Swisscat Yachts en chiffres ?
Jurg von Ins : "Nous construisons des catamarans depuis 20 ans maintenant. Et franchement, je n’ai jamais compté le nombre de milles que tous ces bateaux ont pu accomplir. 2 de nos Swisscat sont actuellement aux Etat-Unis, un au Fidji et d’autres en Australie. Un de nos propriétaires est régulièrement au départ de la Sydney Hobart sur son Swisscat. Quand on connait la difficulté de cette course, c’est une belle démonstration de la pertinence de notre concept !"
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Jurg von Ins : "La dernière ? De Venise à Cannes [pour amener le catamaran au Cannes Yachting Festival 2025]. C’était ma première grande navigation sur le dernier né du chantier et j’ai vraiment adoré. Quant à la prochaine navigation, je ne l’ai pas encore planifiée. On verra..."