Accident de voile, de plongée : quelle responsabilité des organisateurs à l'occasion d'une activité sportive ?

Rappel des faits pour chaque situation :
Première affaire : lors d'un séjour dans un village de vacances, une jeune femme qui participait à une plongée en scaphandre autonome organisée pour le compte du Club Méditerranée, a été mordue par une murène. Elle a subi, des suites de ses blessures, l'amputation de la main droite et portée plainte contre les dirigeants du village vacance et de l'animateur sportif pour blessures involontaires.
Deuxième affaire : un particulier qui effectuait un stage d'apprentissage à la navigation à voile organisé par une Société nautique a été grièvement blessé lors d'une manœuvre d'empannage et a assigné l'organisateur et son assurance en réparation de son préjudice.
Dans ces deux affaires, les juges de la Cour de cassation ont dû qualifier l'obligation qui pesait sur l'organisateur du sport en question et notamment s'il s'agissait d'une obligation de moyen ou de résultat aux conséquences importantes en terme de responsabilité.
Rappelons que le débiteur d'une obligation de résultat s'engage à procurer au créancier la satisfaction promise tandis que le débiteur d'une obligation de moyens est seulement tenu d'apporter les soins et diligences normalement nécessaire pour atteindre un certain but. Autrement dit, la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du débiteur d'une obligation de résultat suppose simplement que la victime apporte la preuve qu'elle n'a pas obtenu la satisfaction promise et le créancier devra apporter la preuve d'un cas de forme majeure pour s'exonérer de sa responsabilité. Au contraire, la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du débiteur d'une obligation de moyens suppose nécessairement que la victime apporte la preuve de la faute d'imprudence, de négligence ou d'incompétence commise par le débiteur, lequel pourra échapper à sa responsabilité en démontrant qu'il n'a pas commis la faute qui lui reproché.
Dans l'obligation de résultat, la responsabilité est sans faute.
Dans l'obligation de moyen, la responsabilité est pour faute.
Si la distinction, sur le papier, est aisée à comprendre, son application est tout autre notamment à l'occasion d'un préjudice corporel comme dans les deux affaires citées.
Concernant le stage d'apprentissage de la navigation à la voile
La victime soutenait que l'organisateur d'une activité sportive est tenu d'une obligation de sécurité à l'égard de ses clients et que si cette obligation est en principe une obligation de moyens à l'égard des participants ayant un rôle actif dans l'activité sportive pratiquée, elle devient une obligation de résultat lorsque l'activité sportive est dangereuse et que le participant est novice, puisque sa participation est alors limitée.
Ce point mérite toute notre attention. En effet, la victime rappelle le principe qu'un organisateur d'activité sportive est seulement tenu d'apporter les soins et diligences normalement nécessaire pour atteindre un certain but (obligation de moyens) mais qu'il en est tout autrement quand l'usager s'en remet totalement à l'organisateur pour assurer sa sécurité et qu'il ne dispose d'aucun moyen de se prémunir lui-même du danger. Autrement dit, la passivité de l'usager concoure à une obligation de résultat de l'organisateur.
Dans cette affaire, la victime rappelle qu'il était un novice en matière de navigation à voile et que le stage au cours duquel il a été grièvement blessé était un stage d'apprentissage. La manœuvre d'empannage étant de surcroît dangereuse car elle pouvait être d'une extrême violence par vent fort, l'organisateur était tenue envers lui d'une obligation de sécurité de résultat.
Par ailleurs, la victime soutenait que selon les critères d'évaluation pour la délivrance du brevet d'Etat 1er degré de voile, il était précisé que le candidat devait savoir faire respecter et enseigner les règles de sécurité, ce qui imposait notamment d'alerter les participants débutants du risque de choc avec la bôme ou l'écoute lors d'un empannage par vent frais et d'insister sur l'interdiction de bouger pendant la manœuvre.
Se pose alors la question de savoir s'il pouvait être reproché au formateur de ne pas avoir conseillé à la victime une place moins dangereuse et si l'équipage avait été averti des risques inhérents à l'empannage. De même, il est permis de s'interroger sur le fait de savoir si le formateur aurait dû poser un frein de bôme pour limiter voire supprimer les risques liés à l'empannage d'autant plus en présence de débutants.
En tout état de cause, la Haute Juridiction n'a pas retenu d'obligations de résultat et estimé que le formateur n'avait pas manqué à son obligation de moyens après avoir énoncé qu'un moniteur de sport est tenu d'une obligation de sécurité de moyens et relevé d'abord, que les conditions météorologiques n'étaient pas mauvaises, que le chef de bord avait tenu compte d'un vent de secteur ouest de force 5-6, en réduisant la grand'voile de deux ris, et que la manœuvre d'empannage, qui faisait expressément partie des apprentissages proposés dans le stage, avait été pratiquée plusieurs fois par l'équipage la veille comme le jour même de l'accident, et était adaptée au niveau de la victime. Les juges retiennent ensuite que le moniteur avait assigné une place à chaque équipier, la victime étant à tribord côté écoute de grand'voile, emplacement qui ne présentait pas de dangerosité particulière et l'équipage avait reçu les consignes nécessaires pour effectuer l'empannage avant que le skipper ne demande : « Parés pour empannés ? », et enfin la victime qui avait pris part aux opérations préalables à la manœuvre, s'était soudainement déplacé pour saisir une manivelle se plaçant ainsi sur la zone de passage du palan.
Concernant le stage de plongée
Lors d’un stage de plongée en Polynésie française, une plongeuse s'est fait mordre par une murène suivi d'une amputation de la main droite. La victime a porté plainte contre le club de vacances organisateur de la plongée et contre l'animateur sportive en insistant sur le fait que l'alimentation des murènes, qu'elle soit prohibée ou non, était en réalité pratiquée de manière constante dans la baie où s'est pratiqué la plongée en sorte que ni les moniteurs du Club ni leurs responsables ne pouvaient ignorer, alors que les autres clubs l'affirment, la présence de murènes nageant en pleine eau vers les plongeurs évoluant dans le site où s'est produit le drame, de sorte qu'en conduisant des clients sur ledit site, sans les avertir des dangers propres à cette activité et sans leur demander leur avis, le Club, ou encore la société Polynésienne des villages de vacances, a commis un ensemble de fautes d'imprudences et de négligences nécessairement à l'origine de l'accident souffert à partir du moment où le dossier enseigne que l'activité d'alimentation des murènes est dangereuse pour les plongeurs, en sorte qu'il appartenait au Club d'informer les clients et de prendre les précautions nécessaires pour éviter à ceux-ci un risque qui en l'espèce s'est réalisé.
Les juges de la cour d'appel de Papeete n'ont pas relevé de charges contre le Club et considéré que la personne effectuant une plongée en scaphandre autonome n'est pas, d'une manière générale, dénuée d'autonomie. Dans le cas particulier de cette plongeuse, elle fréquentait assez habituellement le village de la société Polynésienne, en était à sa quatrième plongée et donc, sans être sans doute complètement expérimentée, n'était pas novice. Aussi, elle évoluait librement dans l'eau, à proximité du moniteur mais non sous son étroite dépendance et que dans ces circonstances il n'apparaît pas que la société Polynésienne des villages de vacances ni le Club Méditerranée aient été tenus à une obligation de résultat.
Les juges ajoutent également que cette plongeuse, même à supposer inexpérimentée, ne pouvait ignorer que la plongée sous-marine se pratique dans un milieu hostile pour l'homme et qu'en s'y adonnant elle s'exposait à des risques contre lesquels elle ne pouvait être totalement prémunie. En sa qualité d'organisatrice de la plongée au cours de laquelle l'accident a eu lieu, la société Polynésienne des villages de vacances n'assumait qu'une obligation de moyen si bien qu'il appartient à la victime d'établir la faute commise par cette société dans l'organisation de l'activité.
Les juges du fond soulignent que l'attaque en pleine eau dont a été victime la plongeuse était imprévisible de la part d'un animal dont il est dit qu'il défend son repaire mais n'attaque jamais spontanément. Les murènes sont des espèces communément rencontrées sur les récifs coralliens et l'imprudence de la société Polynésienne des villages de vacances ne saurait résulter de ce qu'elle a mené ses clients sur un site où vivaient ces animaux ou de ce qu'elle n'a pas rappelé à la plongeuse leur existence. En conséquence, aucun défaut d'organisation de la plongée ne peut être retenu et il n'est pas contesté que le moniteur avec lequel elle plongeait avait les compétences requises pour assurer cette mission d'encadrement et qu'il ressort de l'information que ce moniteur lui a porté secours avec promptitude et efficacité lorsqu'il a vu la victime attaquée par la murène, si bien que le préposé n'a commis aucun défaut de surveillance.
Pour autant, la Haute Juridiction va infirmer la décision des juges du fond en soulignant que la Cour d'appel ne relève pas que la présence d'une murène dans les lieux était normalement imprévisible et irrésistible (ce qui aurait été en effet de nature à dispenser l'organisateur du sport d'une obligation d'information qui pesait sur lui) mais au contraire constate que la zone était vive en murènes et qu'il est constant que celles-ci sortent parfois de leur repaire, spécialement lorsque, comme en l'espèce, les animaux sont fréquemment nourris par les moniteurs de plongée sous-marine.
Mais aussi et surtout, les juges de cassation énoncent que nul part il ressort que l'organisme de loisirs a dûment informé sa cliente du risque qu'il y avait de croiser une murène lors d'une opération de plongée alors que cette information s'imposait d'autant plus que la cliente était encore néophyte puisqu'elle n'en était qu'à sa quatrième plongée et qu'il est constant que dans la zone exploitée il y avait des murènes de forte taille. Or, il incombait au professionnel de haut niveau d'établir qu'il avait rempli son obligation d'information et de mise en garde.
Enfin, dans la mesure où la victime n'avait aucune maîtrise de ce sport bien particulier, en une zone hostile qu'est la plongée sous-marine, à partir du moment où le client était accompagné d'un moniteur qui a le choix de l'itinéraire et de l'évolution, l'organisme était tenu, non pas d'une obligation de moyen mais d'une obligation de résultat, et ce d'autant plus qu'à aucun moment les juges du fond ne constatent que la victime décidait librement de sa plongée.
En conséquence, en retenant une obligation de résultat pour l'organisateur, la Haute Juridiction retient la responsabilité de ce dernier qui n'a pu démontrer le caractère imprévisible et irrésistible de la présence d'une murène sur les lieux de la plongée et ce, malgré une sortie de plongée avec un matériel conforme aux prescriptions réglementaires, sous la surveillance d'un personnel d'encadrement technique et médical compétent, qui a su faire preuve de la diligence requise au moment de l'accident, sur un site connu de plongée touristique fréquenté par d'autres clubs qui y nourrissaient habituellement les poissons.
Au fond, la question de la qualification de l'obligation de sécurité peut être appréhendée différemment, selon que l'on privilégie les intérêts du débiteur ou du créancier.
Soit, pour protéger les intérêts légitimes du débiteurs, on mettra l'accent sur les critères classiques de la distinction, et on retiendra qu'une part du risque est inhérente à toute activité sportive ou de loisirs, d'autant plus forte quand l'activité est objectivement dangereuse, de sorte que l'on admettra alors l'existence d'un aléa pour le débiteur quant à l'exécution de son obligation et que l'on conclura à l'obligation de moyens.
Soit on souhaitera garantir la sécurité corporelle du créancier, et on considérera que la qualification de l'obligation de résultat s'impose lorsque l'activité contractuelle du débiteur soumet le créancier à un risque d'atteinte à son intégrité physique, qualification qui s'imposera d'autant plus lorsque le danger sera important, car le créancier ne sera pas alors en mesure d'assurer sa sécurité.
Autrement dit soi plus le risque est élevé, plus l'aléa qui lui est inhérent doit conduire à la qualification d'obligation de moyens, soit plus le danger est important, plus la sécurité échappe au créancier qui est censé être confiée au débiteur.
Reste qu'une théorie ne permet aujourd'hui de restituer une cohérence dans la jurisprudence rendue en matière d'activité sportive ou de loisirs. En effet un rapide panorama permet de lister comme :
Obligation de sécurité de moyens : organisateur d'un stage d'initiation au karting, organisateur stage ULM, organisateur stage de saut en parachute, organisateur promenade à dos de chameau ou à cheval, organisateur stage d'alpinisme, exploitant d'un manège à balançoires, organisateur d'une expédition en motoneige
Obligations de résultat : exploitant d'un manège d'autos tamponneuses, organisateur et moniteur d'un vol en parapente, organisateur promenade à dos d'âne, organisateur d'une plongée sous-marine, exploitant piste de bob luge, exploitant d'un toboggan aquatique, exploitant de voitures à pédales...
Plus étonnant, on peut lire dans la jurisprudence que l'obligation de l'exploitant d'un télésiège est de résultat pendant le transport, mais de moyens pendant les phases d'embarquement et de débarquements. La personne transportée a la conviction de ne courir aucun risque et n'entend pas en assumer quel que soit la phase de transport. Ici la responsabilité semble détachée de la faute de la victime ou de son imprudence.
En conclusion, le droit positif est imprévisible et on peut s'interroger sur cette distinction entre obligation de moyens et de résultat, sans oublier l'obligation de moyens renforcés qui créée des situations d'inégalités dans l'indemnisation des victimes sans explications légitimes.
En ce sens, on ne peut que se réjouir de l'avant-projet de réforme gouvernemental du droit de la responsabilité civile du 29 avril 2016 qui expose en son article 1233 : "En cas d'inexécution d'une obligation contractuelle, ni le débiteur ni le créancier ne peuvent se soustraire à l'application des dispositions propres à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur des règles spécifiques à la responsabilité extracontractuelle. Toutefois, le dommage corporel est réparé sur le fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même qu’il serait causé à l’occasion de l’exécution du contrat."
Cette mesure aurait un avantage certain car elle ferait plus dépendre le sort des victimes de dommages corporel de la distinction chaotique entre obligations de résultat et de moyens mais placerait sur un même rang toutes les victimes. Pour reprendre les termes éclairants d'un célèbre enseignant "ce dont se plaint la victime en cas d'accident, ce n'est nullement d'avoir été privée de l'avantage qu'elle attendait du contrat (...) mais tout simplement qu'une atteinte ait été portée à sa personne ou à ses biens".
Si devanture cette décontractualisation de l'obligation de sécurité corporelle n'était pas retenue, un autre axe de réflexion serait de distinguer entre une responsabilité sans faute pour la sécurité des personnes (obligation de résultat) et une responsabilité pour faute pour la sécurité des biens (obligation de moyens).
Sources et références :
- La distinction obligation de résultat - obligation de moyens : le saut dans le vide ?, D. Mazeaud, Dalloz janvier 2017
- Quel avenir pour la distinction des obligations de résultat et de moyens ? JCP 2016
- Cour de cassation, Civ 1, 30 novembre 2016
- Cour de cassation, Civ 1, 4 juin 2014