Quelle stratégie pour la suite ?
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Il n’y a pas que l’aventure qui fascine à suivre ces marins traverser les mers du globe. Il y a aussi l’obligation à faire face seul à l’adversité, à devoir s’adapter en permanence et à faire des choix. C’est l’une des plus belles allégories que peuvent offrir les femmes et les hommes de mer. Comme de nombreuses personnes qui se réveillent en ce lundi matin : le salarié face à ces tâches, le chef d’entreprise face à ces décisions, l’étudiant face à sa copie et l’artiste face à la feuille blanche… En course au large, la décision s’appuie sur le concret - des fichiers météorologiques à télécharger à intervalles réguliers – et sur ce qui est moins perceptible mais tout aussi déterminant : l’expérience et le fameux « sens marin ». Ça tombe bien, tous vont devoir en faire preuve dans les prochaines heures.
"Trouver la trajectoire la plus ‘safe’ possible" (Ruyant)
Chez les leaders d’abord. Sur le papier, la situation est inchangée : ce matin, Charlie Dalin mène de plus de 200 milles sur Thomas Ruyant. Les deux hommes progressent actuellement devant un front. Et ça va vite : 21 nœuds pour APIVIA dans les dernières quatre heures, 16,6 nœuds pour LinkedOut puis plus de 25 nœuds à 5h pour LinkedOut. C’est dans ces conditions que Thomas Ruyant a répondu aux vacations ce matin. "Ce sont des navigations assez ‘sport’ et il faut réussir à vivre à ces vitesses-là". Mais Thomas se réjouissait, malgré les conditions "assez toniques" de ne plus être "dans un temps à grain" et dans une mer chaotique comme ces derniers jours.
Pour les hommes de tête, il y a donc un choix qui s’impose. Thomas Ruyant explique : "cela fait plusieurs jours qu’on voit qu’une dépression se creuse au long du front et qu’elle se renforce. J’essaie de trouver la trajectoire la plus ‘safe’ possible, d’adapter ma vitesse en fonction de l’endroit où je veux passer". Sa stratégie ? Prendre une option conservatrice en "passant au nord pour éviter le noyau de houle le plus fort". Les prévisions météorologiques font en effet état de plus de 35 nœuds au cœur de cette dépression qui devrait balayer l’île Amsterdam, un caillou français de 55 m2 au cœur de l’océan Indien.
Avant même de s’interroger sur la façon de gérer ce front, certains bataillent actuellement dans du vent très fort, à l’image de Louis Burton situé plus au sud que Charlie Dalin et Thomas Ruyant. Bureau Vallée 2 progressait en effet dans 30 nœuds de vent au petit matin, tout comme Maître CoQ IV (Yannick Bestaven). Derrière le premier groupe de tête composé de 11 skippers, le duo Romain Attanasio (PURE-Best Westernâ Hotels & Resort) – Clarisse Crémer (Banque Populaire X) a retrouvé depuis hier des conditions bien plus propices avec 15 à 20 nœuds de vent (ce qui leur a permis de parcours près de 390 milles durant les dernières 24 heures).
Un quatuor, un cap et des questions
Plus loin, quatre mousquetaires ont franchi le cap de Bonne-Espérance hier : Alan Roura (La Fabrique), Armel Tripon (L’Occitane en Provence), Stéphane Le Diraison (Time for Oceans) et Arnaud Boissières (La Mie Câline - Artisans Artipôle). Mais le vent manque cruellement et aucun des quatre ne parvenait à avancer à plus de dix nœuds. "Avoir autant de démêlés avec un anticyclone, c’est incroyable", soupirait Stéphane Le Diraison à la vacation. Il en a profité pour faire quelques réparations (notamment pour résoudre un problème de hook), recharger les batteries et surveiller une dépression venue de Port-Elizabeth. "Elle ne me plait pas du tout : les prévisions font état de plus de 50 nœuds en rafale avec des vagues de plus de 6 mètres".
Encore une fois, il faudra faire un choix et ce n’est pas le plus évident, d’autant que la marge de manœuvre, en longeant la ’ZEA’, est particulièrement ténue. Stéphane Le Diraison dresse le tableau en trois scénarios : "soit on ralentit pour laisser passer la dépression, soit on se décale au nord, soit on file dedans si le vent est plus maniable". Le skipper de Time for Oceans s’est déjà positionné un peu plus nord qu’Alan Roura et Armel Tripon. "Ce sont vraiment des décisions très délicates. Le compétiteur en toi te dis de ne rien lâcher, mais le marin préconise d’attendre pour ne pas casser le bateau… C’est un sacré duel dans mon cerveau !"
Beyou, le choix de la résistance
Pendant ce temps, à plus de 900 milles de là dans l’Atlantique sud, le 3e et dernier groupe s’accroche. Les vitesses sont disparates à l’image ce matin de Fabrice Amedeo (17 nœuds, Newrest - Art & Fenêtres), d’Alexia Barrier (8 nœuds, TSE – 4myplanet) ou encore de Jérémie Beyou (15 nœuds). Pour le skipper de Charal, il est aussi question de choix. Il y a celui qu’il vient de faire, à savoir de filer plus au sud malgré une route plus longue. Et il y a celui qu’il a déjà fait : reprendre la route après un demi-tour aux Sables-d’Olonne, accepter d’être loin de la bataille pour la gagne et d’être toujours englué dans l’Atlantique Sud.
"Je ne le cache pas, ça n’a pas été évident", confie-t-il au petit matin. Les mots sont simples, l’émotion prégnante, la clairvoyance toujours là. "Au début, je n’arrivais pas à manger, c’était dur mais jour après jour, j’essaie de ne pas trop angoisser, de me concentrer sur la glisse du bateau". Le déclic ? "Quand je suis reparti, la fenêtre météo qui paraissait favorable s’est bouchée devant moi, la route est devenue compliquée. Là, c’est mieux, je me rapproche de ceux qui sont devant, ça fait du bien au moral". Ainsi donc face aux choix sur l’océan, il y a toujours un juge de paix : la météo et ses turpitudes. De quoi offrir une autre allégorie, celle de la place forcément modeste que l’Homme doit avoir face à la Nature.