Podium instable

« C’est dingue, ça ne partira jamais par l’avant dans ce Vendée Globe ! » Ce matin, Thomas Ruyant, 4e, n’en revenait toujours pas. Et nous non plus. Après 65 jours de course bien consommés, personne n’est encore parvenu à dégager la moindre marge.
Le classement du matin le confirme : 5,6 milles entre Yannick Bestaven, de nouveau leader, et Charlie Dalin ; 26,1 milles entre le leader et le troisième. Entre les deux hommes qui comptent le plus gros crédit de temps suite au sauvetage de Kevin Escoffier, Yannick Bestaven (10h15) et Jean le Cam (16h15), il y a 121 milles d’écart. Et entre les deux, Boris Herrmann, avec ses 6 heures de crédit pour la même raison, ne compte que 63,8 milles de dédit sur le boss à plumes.
Il ne s’agit pas de remettre une pièce dans le jukebox des calculs tordus – une heure n’a pas le même impact selon la vitesse d’avancement des bateaux, et on n’est pas à l’abri de nouveaux épisodes météo tordus –, simplement de prendre conscience que le scénario de Vendée Globe dépasse de très loin tout ce qui pouvait être imaginé au matin du 8 novembre dernier.
Le bénéfice de l'Ouest
Comme il pouvait l’espérer, Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) n’a pas tout perdu à rester dans l’Ouest de la flotte. Face à ce vent de Nord-Est, le bateau rouge peut lofer, serrer le vent, et progresser sur des angles qui lui sont favorables. Cap au 20°, il fonce plein nord, animé du souci de ne pas aller frôler la côte et son activité commerciale et halieutique. Les vitesses ne sont pas folles, 19,5 nœuds depuis le dernier classement, mais les vents gagnent progressivement en stabilité. « Il y a quelques variations de force et direction, il faut être dessus pour ajuster le tir, précisait ce matin Thomas Ruyant (LinkedOut). On commence à avoir du vent, un alizé qui se cale tout doucement et qui va ouvrir à mesure qu'on va progresser par le nord, avec en prévision de jolis bords de reaching à haute vitesse en foiler ».
Lui en est privé, de l’option foiler à cette allure, son foil bâbord ayant rendu l’âme il y a bien longtemps déjà. Ceux qui vont pavaner avec la carène hors d’eau ont déjà commencé à prendre position : Maître CoQ IV, donc, mais aussi Louis Burton (Bureau Vallée 2), qui a pris la 3e position depuis hier soir et qui, ce matin, au bénéfice d’un meilleur angle au vent, allait vite (13,1 nœuds dans 11,5 nœuds de vent si l’on en croit les fichiers). Seul Thomas Ruyant faisait mieux (14,4 nœuds) dans le même angle au vent.
6e, à 63,8 milles de la tête, Boris Herrmann (SeaExplorer – Yacht Club de Monaco) paraît, lui aussi, doté d’un foiler en parfait état de marche, tout comme Giancarlo Pedote, dont les moustaches de première génération semblent parfaitement faire l’affaire. Est-ce que Charlie Dalin, qui a façonné dans l’Indien une cale basse de puits de foil de remplacement, pourra foiler en tribord amures ? Seul l’établissement d’alizés plus soutenus permettra de le savoir.
Les dérives droites tiennent encore bon
Respectivement 5e, 7e et 9e, Damien Seguin (Groupe Apicil), Benjamin Dutreux (OMIA – Water Family) et Jean le Cam (Yes We Cam !) exploitent les qualités de glisse de leurs IMOCA à dérives droites. Amusant – significatif, surtout –, les trois ont les positions les plus à l’Est du groupe de tête. Leur décalage longitudinal est de 170 milles environ sur le leader, de 80 milles à peu près sur Dalin et consorts.
Si l’on devait distinguer un trou significatif, ce serait celui qu’il reste à combler pour Armel Tripon (L’Occitane en Provence), à 713 milles de la tête et Clarisse Crémer (Banque Populaire X), et à 416 milles de Maxime Sorel (V and B – Mayenne), lui-même très légèrement décroché.
Romain Attanasio touché aux côtes
Moins de 300 milles derrière, Romain Attanasio en a terminé avec la dépression, mais pas sans dommages : au près dans 40 nœuds, sur une mer assez démontée, le skipper de Pure – Best Western était inquiet pour le bateau. Il avait même eu du mal à se tenir. Un dernier grain à 50 nœuds, le bateau s’est couché et, tandis qu’il sortait pour choquer un peu, il est tombé, les côtes embrassant violemment un winch. Le masque de la douleur trahissait la dureté de ce qu’il venait d’endurer : « Je suis un peu tombé dans les pommes, je pense, mais j’ai l’habitude. Mais ça me fait un mal de chien, quand je respire à fond seulement. J’ai la tête qui tourne. Et le temps que je fasse ça, le vent est passé au 260°, je suis vent arrière et plus au près, dans une mer de gueux. J’ai l’impression que c’est fini ».
À quelque 2000 milles de la tête, Arnaud Boissières, Alan Roura et Jérémie Beyou avancent à l’ouest des îles Falklands, à l’arrière d’une dépression australe qui est passée dans leur nord. Pip Hare sera parvenue à garder son Superbigou accroché au tableau arrière de Charal jusqu’après le cap Horn : elle décroche lentement, comptant actuellement 80 milles de retard sur le foiler dernière génération du triple vainqueur de la Solitaire du Figaro. Quand on vous dit que ce Vendée Globe est merveilleusement insensé…
Bientôt le Horn pour le Diraison
Le cap Horn, Stéphane le Diraison l’aura mérité. Le skipper de Time for Oceans aura connu le pire de tout pendant deux mois : quatre jours de claquements de voiles dans une pétole incroyable, et des dépressions qui levaient la mer par-dessus l’imaginable : « Dans la dernière dépression que j’ai subie il y a quatre jours, les fichiers me disaient que la houle était de 7,5 mètres. Quand tu sais que le chiffre des fichiers, c’est la moyenne du tiers le plus haut, ça signifie que j’ai eu des vagues de 10 mètres… Quand je regardais le hublot à l’avant, je me voyais descendre à des angulations de 30 degrés ; quand je regardais derrière, je voyais des montagnes foncer sur moi ; j’ai fini par ne plus rien regarder… » Stéphane le Diraison aura eu droit à une dernière blague avant son cap Horn : une pétole molle est venue le cueillir dans sa position très Nord. « Ah, le cochon, il se sera fait désirer ! » La réconciliation, ce sera pour midi, 13 heures au pire, pour le Francilien.
A l’arrière, Alexia Barrier se faisait bien secouer également dans une de ces dépressions qui ne font pas regretter d’avancer avec 3 ris dans la grand-voile et un simple solent à l’avant, en mode conservateur et des sorties dans le cockpit réduites à leur strict minimum. Plus loin, Clément Giraud et Sébastien Destremau avaient des trajectoires un peu tordues. Rien d’anormal : c’est que l’heure des réparations avait sonné.