La yole ronde, un monde ! Quatrième partie : « Yole la ka koulé »

« Yole la ka koulé ! » cri définitif. En une seconde les espoirs de victoire patiemment accumulés durant une semaine peuvent se transformer en défaite totale. « Yole la ka koulé », en fait elle ne coule pas, elle flotte entre deux eaux et ils vont réussir grâce à leur technique et à d’incroyables efforts à repartir. Mais si on commençait par le début de la course ?

La Yole ronde est l’esprit même de la Martinique, l’expression d’un peuple. Aussi, navigants, participants, ou spectateurs, elle déplace des foules, au départ, à l’arrivée, sur l’eau, et sur «Martinique La première », la chaîne de télévision qui assure le direct pendant plus de trois à quatre heures durant les étapes du Tour des yoles.

Tout commence la veille au soir par l’installation de tivolis aux abords de la plage où sera donné le départ. Les tivolis de l’organisation, ceux des associations, et ceux des restaurateurs. Aussi le matin de la régate du championnat, ou de l’étape duTour de la Martinique, c’est d’abord l’odeur qui attire. L’odeur du poulet boucané, des accras, des boudins. On commence à déboucher La Lorraine, emblème de la bière martiniquaise, voire on s’offre un « p’tit decollage », le premier rhum annonciateur d’une magnifique journée de fête. Si on s’interpelle, rigolards, entre badauds ou connaisseurs, c’est un tout autre état d’esprit qui anime les coureurs. Concertation, concentration, motivation tous en rond. Les yoleurs de « Sara Energies » en guise d’échauffement partent, en courant, à l’assaut du raidillon qui mène à l’Eglise Saint Etienne, celle du Marin, dont ils défendent les couleurs.

Les Yoles sont sur la plage, couchées sur le flanc. Première décision importante : quelle surface de voile ? Le Patron et ces aides, en fonction de la météo et du parcours choisissent l’une des quinze voile qui sera la plus adaptée aux conditions du jour. La régate commence sur la plage : on peut annoncer gréer une 56m2 pour, en réalité, installer une 48m2, la désinformation est une des armes… Les voiles sont enverguées à l’horizontales, rappelons qu’il n’y a pas de drisse. Puis, gréés, toujours à l’horizontale, les mâts sont engagés dans l’emplanture adéquat. Alors entrent en action les dresseurs. Ceux-ci se hissent avec leurs bois dressés sur le plat bord à deux mètres du sol. Et, faisant levier, redressent le tout, mettant la yole à plat et le mât à la verticale. Les mâts sont calés dans les emplantures : paré à décoller !

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Redressage de la yole qui vient d'être gréée.© Denis Chabassière

Les quinze yoles sont alignées sur la plage selon un ordre bien défini. Par tirage au sort pour la première manche du championnat ou le prologue du Tour des Yoles, puis en ordre inverse de leur classement : le premier est sous le vent de la flotte, le dernier au vent. Ce système simple de handicap rend la compétition plus intense. Chaque association possède plusieurs yoles. Pour le championnat on engage souvent la moins récente. Par exemple à l’occasion du championnat 2022/2023, Yole net 2000 court sur une embarcation construite en 2006, par contre l’embarcation vainqueur du tour des yoles 2022 a été mise à l’eau en 2016. Les organisateurs  privilégient des plages permettant de se dégager plutôt au portant ou au travers. Les signaux de départ sont du style « classique » : dix minutes, cinq minutes, minute, départ. Alors, dans un incroyable boucan d’invectives et d’encouragements, sur lequel flotte l’odeur du poulet boucané, c’est parti !

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Les yoles en attente du départ © Denis Chabassière

Les yoles s’élancent, parfois en s’aidant des seaux d’écopage pour se dégager plus vite ! Le nombre d’équipiers à bord dépend de la compétition. Pour le tour des yoles ce sont 14 équipiers. Pour le championnat on peut embarquer jusque 19 ou 20 équipiers… Une association comprend entre 30 à 40 yoleurs, c’est que, comme au rugby, il y a un banc de remplaçants et les changements s’effectuent en cours de régate !!!

Comment cela se passe ? Tout d’abord en fonction de la météo et du parcours, comme on a choisi les surfaces de voile, on choisit les gabarits. Pour l’association « Sa pa zafé’w », est considéré comme léger un équipier de 90kg… les autres c’est entre 100 et 110kg, tout est relatif (1). Mais le plus étonnant est, qu’en fonction de l’état de fatigue d’un équipier ou d’un changement de condition météo, le patron décide de remplacer un dresseur, par signe il fait appel au bateau suiveur de l’association et indique qui il souhaite voir à bord. Le remplaçant est amené sur la yole par un scooter des mers, le yoleur gagne son poste. L’équipier remplacé se laisse alors tomber à l’eau pour être récupéré par un bateau suiveur ou un jet ski (2). En tout cas, tel nombre d’équipiers au départ, tel nombre à l’arrivée et pas un de plus ou de moins. Un équipier qui tombe à l’eau et la yole doit mettre en panne pour le récupérer.

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Un seul mot d'ordre : « EQUILIBRE », elle requiert la COHESION parfaite de l'équipage© Yole Net 2000

Equilibre est le maître mot de la yole. l’assiette instable du bâtiment requiert de la part de l’équipage une cohésion parfaite, la yole c’est avant tout une affaire d’équipe et d’équipe soudée et réactive.

Soudée, réactive et hiérarchisée. Traditionnellement les rôles de chacun de l’avant à l’arrière sont bien définis (3). Dans le gréement à deux voiles, « le premier corde » observe le plan d’eau, annonce les risées, les positions des concurrents et les bouées ; le « deuxième corde » l’assiste, et tout deux aident la voile d’avant à passer dans les empannages et les virements. Puis viennent sept « dresseurs », ou « bwa-dressés » qui font contre poids sur leurs bois dressés. Dans le gréement à une voile on trouve neuf dresseurs. La fonction du « premier bois », le dresseur le plus antérieur, est identique à celle du « premier corde », il est aussi celui qui sort le premier au rappel et le premier qui change son bois de côté lors des changements d’amure. Le dernier dresseur est le dernier à monter au rappel et à changer son bois de côté lors des changements d’amure. Comme la Yole est capable de descendre quasiment « plein cul » vent arrière, certains dresseurs sont appelés à se positionner sous le vent pour parer au coup de contre gîte. Ils sont en permanence en mouvement.

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Rappel maximum dans la rafale, les premiers bois sont suspendus, jambes dans le vide, sur leurs bois dressés© Yole Net 2000

Au pré, quand la rafale est forte les dresseur peuvent être amenés à jeter tout leur poids dans la balance en ôtant leur pieds du plat bord et se retrouver les jambes dans le vide. Cela réclame des abdominaux et des bras… Dire que l’activité est physique est en dessous de la vérité, ce sont des athlètes et des équilibristes ! Et le jeu peut durer trois ou quatre heures.

Les « Manœuvriers d’écoute » sont en charge du réglage de la voile, ils sont deux dont l’un peut être amené à  écoper à grands coups de seau tant l’embarcation embarque dans la mer formée il prend le joli titre « d’écopeur » . Dans les conditions rugueuses, ils peuvent être plusieurs et même beaucoup à écoper…Les « aides-patron », souvent deux, aident le barreur a maintenir la pagaie, l’effort est si intense que la ceinture de trapèze reliée à la pagaie est autorisée et permet de répartir la force sur l’ensemble du corps. Enfin tout ce monde, comptez cela fait déjà treize personnes, est sous l’autorité du « Patron » qui , en tout, est vraiment « le patron » .Respecté, admiré, il peut être à l’origine de la conception et de la construction de la Yole. Le patron n’est pas toujours le barreur, il peut, selon les conditions occuper d’autre postes, il sait tout faire, un vrai patron quoi. Il incarne les valeurs de la yole : esprit d’équipe, solidarité, entraide. Ces gens de mer partagent avec le rugby les mêmes qualités mentales et physiques. Dans la conversation avec un yoleur, très rapidement ces mots reviennent de la part des navigateurs : cohésion, humilité, engagement.

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Entre le point d'équilibre et le point de rupture © tourdesyoles.com

Un Yole cela va vite, et même très vite. Dix à douze nœuds au portant, pointes à quatorze ; sept à huit nœuds au pré avec un angle mort de 90°. C’est quand même pas mal pour une embarcation qui peut sembler rustique.

Pour l’empannage conserver l’assiette de la coque est primordial, pour le virement de bord on s’aide à grands coup de pagaie pour faire passer l’étrave au vent, et on repart aussi vite dans l’autre sens. Ca cause beaucoup sur une yole, les dresseurs sont avertis de la rafale, de la molle (ça lâche), le manœuvrier d’écoute sollicité. Ces ordres pour assurer en permanence l’équilibre et aller vite

Une incompréhension des dresseurs, une rafale plus forte que prévue, un refus à contre, une voile trop gourmande en surface et la yole dessale : « Yole la ka koulé ».

Il faut alors : désolidariser les mâts du bateau, mettre la coque à l’ endroit,  que les dresseurs dans l’eau assurent la stabilité de chaque côté pendus à bras sur leurs bois dressés, faire grimper à bord le plus léger qui écope furieusement, il sera suivi par d’autres. Quand la coque est hors d’eau la règle impose de regréer une voile de 32m2, soit en mer, soit sur une plage. Et alors, le cœur gros el les membres fourbus, on peut repartir à la poursuite de la flotte.

A SUIVRE…

*Merci à Patrick Lamon,  président de l’association Yole Net 2000, d’avoir autorisé à reproduire des photos  du site internet : https://www.facebook.com/YoleNet2000/

1) https://tourdesyoles.com/sa-pa-zafew-lamentin/ d’après l’interview de Pedrick petiot par Nathalie Laulé pour Antilla

2) https://tourdesyoles.com/etape-5-fdf-diamant-2022/ 

3) www.culture.gouv.fr Fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel : « La yole ronde de Martinique »

4) tourdesyoles.com 2023

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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