
Figaro Nautisme : Comment est né votre amour pour la voile ? Vous êtes tombé dedans quand vous étiez petite ?
Anne Combier : "Non ! C’est une histoire plutôt originale. A 19 ans, j’étais coursier à moto à Paris en job d’été et j’ai eu un accident l’été 79. Dans ma tête, je voulais faire le Paris-Dakar avec ma moto donc bien loin de la voile ! Je suis restée quelques temps à l’hôpital et ma mère, par pur hasard, m’a apporté un livre de Bernard Moitessier. Je l’ai dévoré et j’ai lu toute la collection aux éditions Arthaud.
Quelques semaines plus tard, je découvre une annonce de Florence Arthaud qui recherche des équipiers payants pour convoyer son bateau de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe à Saint-Malo. Je rencontre Florence et son père à Paris et elle me demande si j’ai déjà fait de la voile. Je lui réponds « non jamais ». Et là, elle me dit que ce n’est pas un problème, rendez-vous à Pointe-à-Pitre début mars ! J’ai vendu tout ce que j’avais et je suis partie en Guadeloupe, avec un aller simple.
La traversée de l’Atlantique s’est très bien passée, nous nous sommes très bien entendues et une fois arrivées à Saint-Malo, elle m’a proposé de rester son second. Nous avons navigué pendant deux ans ensemble."
F. N. : Une transatlantique comme première expérience de voile... vous vous êtes directement jeté dans le grand bain !
A. C. : "J’ai intégré le milieu de la voile par la grande porte avec la course au large mais je n’avais aucun diplôme. Je me suis donc inscrite à l’Ecole Nationale de Voile où j’ai obtenu mon diplôme de brevet d’état de voile en 83. J’ai découvert le dériveur, le 470… et c’est comme cela que j’ai commencé la voile olympique. J’ai intégré l’équipe de France en 470 pour la préparation des JO de Séoul en 88. Cela m’a permis de faire une école de commerce en sport étude étant athlète de haut niveau. On peut dire que cela m’a remis les idées en place et je ne suis finalement pas allée aux Jeux Olympiques car je n’ai pas été sélectionnée. Pendant ces années de formation, je suis devenue amie avec Thierry Peponnet (Champion Olympique 88). A la fin de notre formation, il m’a proposé de travailler avec lui et j’ai accepté : je suis devenue son manager et je l’ai accompagné et géré sa carrière pendant près de 20 ans.
J’ai continué la compétition de voile, j’ai remporté le championnat du monde de voile en équipage à La Rochelle en 94 avec Christine Briand, puis de fil en aiguille, j’ai commencé à m’occuper de Catherine Chabaud que j’ai rencontré à la Nioulargue 89, Catherine m’a demandé de l’aide pour présenter son projet de mini transat à Whirlpool. Cela a été le début d’une longue et belle histoire. J’ai aussi monté le projet « Challenge Océane » pour faire la Whitbread en équipage féminin avec Christine Guillou, Christine Briand et Catherine Chabaud etc. C’est dans cette aventure que j’ai intégré une agence de communication, Hickory, et je me suis occupée pendant 20 ans de beaucoup de projets voile et notamment tous ceux de Catherine Chabaud avec Whirlpool pendant 10 ans (j’ai notamment été son team manager sur ses deux Vendée Globe), mais aussi Lalou Roucayrol et Pascal Bidégorry avec Banque Populaire, Karine Fauconnier avec Sergio Tacchini…
Enfin, j’ai fondé mon agence KOTAÏ Projects en 2017 pour continuer dans ces projets qui me passionnent… 30 ans de carrière au compteur déjà !"
F.N. : Vous êtes aujourd’hui team manager de Yannick Bestaven. Racontez nous…
A.C. : "En 2014, Yannick Bestaven que je connaissais déjà depuis longtemps, m’a demandé de l’accompagner en Class 40, sur le suivi du partenariat avec son sponsor LE CONSERVATEUR, de la construction de son bateau, sa participation à la Route du Rhum cette même année, la Jacques Vabre qu’il a gagnée en 2015… J’ai continué de l’accompagner sur différents projets, puis en 2016 avec Yannick, nous avons décidé d’acheter un Imoca à dérives, l’ancien Initiatives-Cœur, afin de se donner toutes les chances de trouver un partenaire pour le Vendee Globe 2020. J’ai continué à suivre Yannick dans ses aventures notamment lors de sa participation une nouvelle fois à la Jacques Vabre avec Kito de Pavant. C’est en 2018 que Yannick convainc Maître CoQ de le parrainer pour les 3 années suivantes. Après la Route du Rhum 2018, Yannick rachète alors le bateau à foils de Bilou (ndlr : Roland Jourdain) et on vend l’ancien à Clément Giraud."
F. N. : Quels ont été les ingrédients de la victoire de Yannick sur le dernier Vendée Globe ?
A. C. : "Il y a beaucoup de choses ! Déjà, changer de bateau et passer à un bateau à foils, qui a été assuré, fiabilisé, renforcé, etc. Nous avons été bien accompagnés par Bilou, Stan Delbarre (ancien boat captain de Safran), Jean-Marie Dauris, un ancien de la Coupe de l’America qui est directeur technique… A l’époque du Vendée Globe de Catherine Chabaud, je m’occupais de tout et Lionel Lemonchois était le boat captain. Aujourd’hui pour le Vendée Globe, il faut un team manager mais aussi un directeur technique car les bateaux ont tellement évolué techniquement que ce n’est plus possible de tout gérer. Les ingrédients de la victoire s’appuient sur une véritable équipe associé à la philosophie de Yannick : l’optimisation et la fiabilité du bateau, beaucoup de navigation et d’entrainement, et l’appui de son coach mental, Eric Blondeau ! Yannick était un peu réticent au début et finalement cela s’est très bien passé et je pense qu’il a été l’un des artisans de la victoire. Même si au final, nous l’avons tous été chacun dans notre partie. Ce qui a été important également c’est l’appui de la CDA (Communauté d’agglomération de LA ROCHELLE) qui nous permis de nous installer à La Rochelle avec un vrai hangar, nous sommes passés en mode professionnel."
F. N. : Quels sont les prochains projets ?
A. C. : "Je ne peux pas trop en parler pour le moment. Yannick a envie de repartir mais dans sa tête, et celle de toute l’équipe, ce sera difficile de repartir sur le même bateau. Nous en sommes au stade de la réflexion avancée, on verra d’ici quelques mois…"
F. N. : Team manager, c'est un métier plutôt récent dans le milieu de la voile professionnelle ?
A. C. : "J’ai fait 22 ans de compétition de voile et le métier de manager de projets, je pense être la première à l’avoir fait à l’époque où les skippers faisaient tout eux-mêmes. D'ailleurs avec Thierry Peponnet, notre règle était : tu t’occupes de tout sur l’eau, et moi sur terre. Cela a été la clé du départ de toute ma carrière. Les skippers sont des chefs d’entreprise à 99% et donc, ils ne peuvent pas tout faire s’ils veulent être au top niveau, il faut absolument déléguer à quelqu’un de confiance, à « l’homme, la femme de l’ombre ». Mon métier, c’est être la tour de contrôle. J’ai un regard financier et juridique sur les affaires, je gère les relations avec les sponsors, la logistique… Cela nécessite beaucoup d’anticipation et d’adaptation. Jusqu’à récemment il n’y avait pas de femmes. C'est nouveau. Cela évolue, il y a beaucoup plus de femmes et heureusement !"
F. N. : Tout au long de votre carrière de skipper et de team manager, vous n’avez jamais ressenti de freins du fait d’être une femme ?
A. C. : "Jamais ! J’ai été formée à l’école Florence Arthaud alors ce n’était pas vraiment le genre à se laisser faire, mais non je n’ai jamais ressenti de freins ou de problèmes à ce niveau-là. Je pense que la voile est un des rares sports où la mixité se passe bien et c’est tant mieux."