
« Une bombe à retardement ». Le mot est fort, mais il traduit bien l’inquiétude d’Ika Paul-Pont, écotoxicologue au Laboratoire des sciences de l’environnement marin (Lemar) à Brest. Face à la « production exponentielle » de plastique, à « l’absence de gestion de fin de vie » des déchets et à « sa haute toxicité », la scientifique alerte sur les risques majeurs que ce matériau fait peser sur la santé des océans.
Depuis plus de douze ans, la directrice de recherche au CNRS étudie les effets du plastique sur les invertébrés marins, notamment les mollusques bivalves comme les huîtres. « Quand nous avons commencé, nous pensions que le problème se limitait à l’ingestion ou à l’étranglement, mais plus on l’étudie, plus on découvre sa complexité et sa puissance toxique », confie-t-elle.
Car derrière chaque morceau de plastique se cache une véritable « boîte noire » chimique : 16 000 additifs, dont près d’un quart sont considérés comme préoccupants. Ces composants, longtemps négligés, sont aujourd’hui au cœur des discussions internationales sur le futur traité mondial sur le plastique, mené sous l’égide des Nations unies.
Des risques en cascade pour la vie marine
Les recherches menées à Brest révèlent des effets toxiques multiples sur la croissance, la reproduction, la nutrition et le développement des espèces. Dans les bassins expérimentaux où sont reconstitués des écosystèmes complets, les scientifiques observent des perturbations profondes : altération du métabolisme énergétique, baisse de la reproduction et ralentissement de la croissance.
« À long terme, le risque est celui d’une modification de la structure même des écosystèmes marins », prévient Ika Paul-Pont. Certaines espèces pourraient disparaître, notamment les oiseaux marins, particulièrement vulnérables à cette pollution. En parallèle, la qualité de l’eau se dégrade, entraînant une baisse potentielle de l’efficacité de la pêche.
Les microplastiques, eux, se fragmentent jusqu’à atteindre le phytoplancton et le zooplancton, contaminant toute la chaîne alimentaire - jusqu’à l’humain.
Nettoyer la mer ne suffira pas
Si les opérations de nettoyage menées dans les gyres océaniques du Pacifique ont une valeur symbolique et pédagogique, leur impact reste limité. « La solution est surtout à terre », insiste la chercheuse, qui appelle à agir avant que les plastiques ne se fragmentent et ne rejoignent la mer.
Mais au-delà du traitement des déchets, c’est la production qu’il faut questionner. Les négociations onusiennes se heurtent encore à deux visions : celle des pays « ambitieux » - Union européenne, Canada, Australie, États d’Amérique latine ou d’Afrique - favorables à une réduction drastique, et celle des États producteurs d’hydrocarbures, réticents à imposer des contraintes.
Pour Ika Paul-Pont, la clé réside dans un traité mondial contraignant, assorti de contrôles rigoureux. « Il n’est pas réaliste d’imaginer éradiquer le plastique, mais nous devons réfléchir à nos usages », conclut-elle. L’objectif : produire des matériaux plus sûrs pour l’environnement et la santé humaine.
Le plastique, omniprésent et longtemps perçu comme anodin, s’impose aujourd’hui comme l’une des plus graves menaces environnementales. Invisible une fois fragmenté, il bouleverse déjà les équilibres des océans et s’invite dans la chaîne alimentaire. Si le nettoyage des mers peut sensibiliser, seule une action globale, encadrée et responsable, permettra d’éviter que cette « bombe à retardement » n’explose au cœur des écosystèmes marins.