
Quand les baleines redessinent la carte de l’Europe hivernale
L’hiver est la période la plus active pour les grands cétacés européens. Aux portes du cercle polaire, les fjords norvégiens voient affluer des dizaines de baleines à bosse, parfois accompagnées de rorquals de Minke. Elles y trouvent des bancs de harengs d’une densité inégalée, concentrés par les tourbillons d’eaux froides qui remontent des profondeurs.
Plus au sud, l’Irlande et l’ouest de l’Écosse restent des zones privilégiées pour observer le rorqual commun, dont certains individus parcourent chaque année des milliers de kilomètres pour rejoindre ces couloirs nourriciers. Le phénomène touche aussi la Méditerranée. Dans le couloir sarde-provençal, des rorquals communs remontent en hiver lorsque les eaux profondes charriées par le Mistral et la Tramontane réinjectent des nutriments en surface. C’est à cette période que les observations sont les plus nombreuses, bien plus qu’en plein été, où les animaux repartent vers les zones pélagiques moins accessibles.
L’appel du froid : orques, dauphins et marsouins profitent de la saison
En Europe, l’hiver est synonyme d’orques. Les Lofoten et la région du Troms se transforment en véritables arènes naturelles : les harengs s’y amassent en immenses sphères argentées, et les orques les rassemblent à coup de nageoires, une technique spectaculaire appelée « carousel feeding ». Cette concentration de proies attire aussi les baleines à bosse, créant certaines des plus fortes interactions inter-espèces observées sur le continent.
Dans l’Atlantique plus tempéré, les dauphins communs gagnent les baies et les zones côtières du Pays basque, de la Bretagne ou du sud de l’Angleterre, où les bars, maquereaux et mulets profitent eux aussi des courants hivernaux. Leur activité est d’autant plus visible que les eaux, souvent plus claires qu’en été, laissent mieux voir les proies possibles.
Le marsouin commun, espèce discrète, apparaît davantage autour du Danemark, des Pays-Bas ou de la mer du Nord, où les concentrations de merlans créent une manne hivernale rare. En Méditerranée, l’hiver marque souvent la meilleure période pour apercevoir les dauphins bleus et blancs, les globicéphales noirs et même quelques grands dauphins au large des Alpes-Maritimes. Les calmars de saison et les petits pélagiques jouent ici un rôle central.

Phoques et tortues : les visiteurs inattendus de la saison froide
L’hiver est la saison des naissances chez les phoques gris. Sur les plages d’Écosse, de Normandie ou des îles Britanniques, les blanchons naissent par centaines, couchés à même le sable tandis que les adultes alternent chasse et repos. Les colonies se densifient à cette période : on peut en observer bien plus qu’à n’importe quel autre moment de l’année.
Du côté des reptiles marins, l’hiver réserve une surprise souvent méconnue : la tortue caouanne est plus visible dans plusieurs secteurs méditerranéens. Les Baléares, la Sardaigne, la mer Ligure et même certaines zones du golfe du Lion enregistrent plus d’observations entre décembre et mars. Le refroidissement modéré de la Méditerranée provoque parfois des concentrations de méduses et de calmars dont elles raffolent.

Quand les requins quittent le large pour les eaux européennes
Certaines espèces de requins se révèlent seulement en hiver. Le requin pèlerin est le cas le plus connu : ses apparitions en Écosse, en Irlande ou dans le canal de Bristol surviennent surtout lorsque les tempêtes hivernales brassent les eaux, faisant remonter le plancton sur lequel il se nourrit.
En Atlantique tempéré, le requin-taupe bleu suit les merlans et les harengs qui s’approchent des côtes en saison froide. Sa présence devient presque saisonnière, bien que les observations restent rares.
Même en Méditerranée, l’hiver est un moment où les requins bleus circulent davantage dans l’ouest du bassin, là où les thonidés se regroupent.

Poissons, méduses et oiseaux : la chaîne alimentaire s’emballe
Les poissons sont les premiers à réagir à l’hiver. Harengs, anchois, merlans, tacauds et lieus se rassemblent en bancs serrés, profitant de l’abondance de plancton. Ces regroupements transforment littéralement l’écosystème : les prédateurs affluent et les interactions deviennent visibles même en surface.
Les méduses, elles aussi, connaissent leur saison. Dans l’Atlantique Nord, la grande cyanea capillata n’apparaît qu’en période froide, laissant traîner ses longs filaments cuivre dans les eaux sombres. En Méditerranée, Pelagia noctiluca gagne en densité dans plusieurs golfes lorsque la colonne d’eau se stabilise après les coups de vent d’hiver.
Les oiseaux marins répondent immédiatement à cette effervescence. Les fous de Bassan plongent en escadrille sur les bancs de maquereaux, les puffins cendrés foncent derrière les sardines hivernales, tandis que les macareux regagnent les zones d’alimentation de la mer du Nord. Même dans le golfe du Lion ou autour de la Sicile, les regroupements hivernaux de poissons attirent puffins et labbes bien plus près des côtes qu’en plein été.
Pourquoi l’hiver change tout sous la surface
Lorsque les eaux se refroidissent, la stratification estivale disparaît. Les couches profondes, riches en nutriments et en matière organique, remontent et fertilisent la surface. Le plancton se multiplie, attirant les poissons, qui attirent à leur tour les prédateurs et super-prédateurs. L’hiver n’est donc pas une parenthèse silencieuse, mais la saison la plus vivante de l’année.
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