
Cinq ans pour structurer l’« invisible »
Avant l’agrément ministériel de 2019, le sujet des bateaux en fin de vie était un angle mort : les ports croulaient sous des épaves vieillissantes, parfois abandonnées par leurs propriétaires, sans réelle solution. C’est dans ce vide que l’APER s’est engouffrée, dès 2009, en initiant les premières études et expérimentations. Dix ans plus tard, la loi sur la transition énergétique a offert un cadre juridique avec la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP), principe du « pollueur-payeur ». La France a ainsi été la première à se doter d’une filière structurée pour la plaisance. Les dates clés jalonnent cette montée en puissance : agrément en mars 2019, première déconstruction financée en août, 8 000e bateau traité en mai 2023, puis réagrément jusqu’en 2029. Un parcours qui illustre comment une intuition volontaire est devenue une filière nationale incontournable.
Le bilan 2019-2024, en chiffres et en résultats concrets
En cinq ans, 13 104 bateaux ont été déconstruits. Le rythme s’est accéléré chaque année, passant de 363 unités en 2019 à plus de 3 100 en 2024. Cela signifie concrètement des ports désencombrés, des quais rendus aux bateaux actifs et des rivages débarrassés d’épaves. Les déchets générés trouvent de plus en plus de débouchés : 74 % ont été valorisés en 2024, preuve qu’un bateau n’est pas seulement un déchet mais une ressource potentielle. Derrière ces chiffres, c’est une promesse écologique : limiter la pollution et réinscrire la plaisance dans une logique d’économie circulaire.
Les particuliers représentent la moitié des dépôts, preuve que la prise de conscience gagne aussi les propriétaires privés. Les clubs de voile suivent, avec près d’un quart des bateaux collectés. Quant aux types de bateaux, ce sont majoritairement des monocoques à moteur, des dériveurs et des voiliers monocoques, qui traduisent le profil classique du parc français, vieillissant et souvent issu des années 70-80.

Une mécanique claire : gouvernance, éco-contribution, transparence
Derrière ce dispositif, une mécanique parfois méconnue : l’éco-contribution. Incluse dans le prix d’achat d’un bateau neuf, elle finance le traitement futur des unités en fin de vie. Loin d’être une taxe punitive, elle est conçue comme un contrat de solidarité entre constructeurs, distributeurs et plaisanciers. Ce modèle est contrôlé, audité et transparent : chaque euro est suivi, du financement du réseau de centres jusqu’aux campagnes de sensibilisation. C’est cette gouvernance solide qui a donné à la filière sa crédibilité.
Sur le terrain : ports libérés, clubs soulagés, îles désencombrées
Le magazine insiste sur le vécu local, là où la filière prend tout son sens. Dans les ports, des unités abandonnées bloquent des places, parfois depuis des années. Les opérations coordonnées par l’APER permettent de libérer ces espaces, avec des résultats visibles. L’exemple de l’Île-d’Yeu est parlant : 63 bateaux sortis en 2024 grâce à une mobilisation commune de la mairie, du département, de l’APER et d’opérateurs privés. Sans ce type de projet, les épaves continueraient à encombrer cales, jardins et mouillages.
Dans les clubs de voile, la situation était tout aussi critique : dériveurs percés, semi-rigides hors d’âge, catamarans trop fatigués pour être réparés. Depuis 2020, la Fédération Française de Voile et l’APER organisent des collectes mutualisées, qui ont déjà permis de traiter 2 600 unités. Ces opérations libèrent les parkings des bases nautiques et rendent les structures plus accueillantes pour les pratiquants.

Réemploi et innovation : fermer la boucle
Derrière la déconstruction, une ambition plus large se dessine : donner une seconde vie aux bateaux ou à leurs composants. Certains chantiers, comme Yuniboat ou La Tribu Maritime, explorent le reconditionnement, la rénovation ou la récupération d’équipements. L’objectif est double : éviter la casse systématique et proposer aux plaisanciers des alternatives moins coûteuses et plus durables.
Le magazine met aussi en lumière la recherche autour du composite, matériau majoritaire des coques modernes. Longtemps considéré comme impossible à recycler, il fait désormais l’objet de tests menés avec la start-up Composite Recycling, qui cherche à séparer fibre de verre et résine pour transformer ces déchets en ressources industrielles.
2024-2029 : un cap assumé
Avec son nouvel agrément, l’APER entre dans une phase de consolidation et d’expansion. L’un des chantiers majeurs sera la prise en charge du transport des bateaux, point souvent bloquant pour les propriétaires. L’éco-organisme prévoit aussi d’étendre son réseau dans les DROM-COM, avec de nouveaux centres à Saint-Martin dès 2025, puis à Mayotte, La Réunion, en Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’idée est claire : aucune zone ne doit rester sans solution.
En parallèle, la filière doit continuer à convaincre les « non contributeurs », entreprises qui mettent des bateaux sur le marché sans adhérer à l’APER et à pérenniser son financement via la TAEMUP, taxe sur les engins maritimes. Là encore, l’enjeu est pédagogique : expliquer que le coût de la déconstruction doit être intégré dès la mise sur le marché.

À l’échelle européenne : la France en éclaireur
Le magazine souligne que la France reste à ce jour le seul pays à disposer d’une filière structurée de recyclage des bateaux de plaisance. Cette avance attire l’attention de Bruxelles, mais l’absence d’harmonisation freine la construction d’un véritable marché européen. L’APER plaide donc pour une REP européenne, avec des règles communes et des standards partagés, afin que le recyclage devienne une norme et non une exception.
En lisant Recycler mon bateau, on comprend que la déconstruction des bateaux n’est pas qu’une affaire de déchets : c’est une révolution culturelle pour la plaisance. En cinq ans, la filière a prouvé qu’un modèle collectif, transparent et efficace pouvait exister. Le défi désormais est de passer à l’échelle : massifier les volumes, simplifier les démarches, investir dans l’innovation et élargir le réemploi.
Le magazine ne cache pas les obstacles ; transport coûteux, matériaux complexes, sensibilisation encore incomplète mais il montre aussi la force de l’engagement collectif. En 2029, si le cap est tenu, la plaisance française pourrait bien être la première au monde à avoir fermé la boucle de son économie circulaire.