
Tony Estanguet a mis un terme à sa carrière professionnelle après avoir décroché pour la 3e fois l’or olympique en canoë monoplace aux JO de Londres. Il a accepté de revenir avec le Figaro Nautisme sur sa carrière et sur ses ambitions futures.
Figaro Nautisme : Quel bilan tirez-vous de votre carrière ?
Tony Estanguet : Le bilan, il est plutôt sympa d’un point de vue comptable: trois titres olympiques, trois titres de Champion d’Europe et trois de Champion du Monde. Et le côté positif ne vient pas uniquement des titres. J'ai réussi aussi à tirer des bénéfices d’autres moments, comme à Pékin où j’ai été porte-drapeau, ou sur des courses moins médiatisées mais qui se déroulaient sur de très belles rivières au Canada ou au Brésil. C’est un peu un mélange de voyages et de victoires. Ces dernières ont ponctué une carrière assez pleine à travers quatre olympiades qui m’ont fait grandir, avancer, apprendre. Quand on est sacré champion olympique à 22 ans, il faut le gérer, être capable de se vendre auprès de partenaires. Au début, je n’avais pas d’agent. Le sport de haut niveau m’a beaucoup apporté dans ma vie personnelle mais aussi professionnelle, car j’ai dû faire évoluer mes compétences en dehors du sport. J’ai mené mes études de front après les JO d’Athènes (Tony Estanguet est titulaire d’un Master de Marketing du Sport de l’ESSEC, ndlr) et j’ai été prof de sport après ceux de Sydney. C’est important pour garder un certain équilibre: être meilleur dans le sport mais aussi dans la gestion d’image, des partenaires, de tout ce qui entoure la performance sportive.
Qu’en retiendrez-vous?
La diversité des expériences. J’ai gagné mes trois titres olympiques dans des contextes différents. Au niveau du palmarès, je retiens également la diversité. Je me suis adapté à des contextes variés avec des entraineurs différents, mais avec une concurrence qui a peu évolué. Ce que je retiens aussi, c’est d’avoir été capable de garder une vie normale, d’avoir pu mener de front un job et des études et d’avoir pu construire une vie de famille. Je pense avoir trouvé un équilibre dans mon parcours, à positionner le sport dans ma vie personnelle et globale. Je n’ai pas vécu ma carrière comme un sacrifice, je n’ai pas eu l’impression d’avoir tiré sur la corde. D’ailleurs, je n’ai pas mis un terme à ma carrière parce que j’étais usé ou que j’en avais marre. Je prends ça comme une chance !
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui débutent et qui rêvent d’une carrière comme la vôtre ?
Le premier serait de se donner les moyens de réussir, d’aller au charbon, de s’entraîner, de se donner du temps pour progresser, et de s’impliquer vraiment dans son projet sportif. C’est bien d’avoir un bon entraineur, d’écouter ses conseils, mais ça ne suffit pas. Il faut aussi construire quelque chose avec lui, donner une dimension personnelle à son projet, s’impliquer à bloc. Ensuite, il faut rester curieux et polyvalent. Pour être très bon à haut niveau, il ne faut pas être mono tâche. Ce qui fait la différence, c’est la capacité à anticiper les choses, à s’enrichir grâce aux conseils de l’extérieur, à prendre du recul. Il est important aussi de pratiquer d’autres sports, de voir ce qui s’y passe pour trouver sa propre voie. Il faut regarder ce qui marche à droite et à gauche et se remettre en question à travers l’exemple des autres.
Quel meilleur souvenir gardez-vous de vos années de compétition ?
C’est trop frustrant de résumer une carrière en un souvenir. J’ai plein de bons souvenirs à des périodes différentes, dont mes premiers succès. Les échecs sont durs à encaisser, mais ils m’ont permis de grandir et d’avancer. Londres, c’est un moment fort, c’est la fin de l’histoire. Le scenario était très sympa, tous les ingrédients étaient réunis pour que ça soit un grand moment. Je retiens donc beaucoup de souvenirs à la fois, différents et complémentaires
Ecrire votre livre, « Une question d’équilibre », était-il un moyen de tourner la page?
Ca m’a aidé. J’avais besoin d’essayer de donner du sens à ce que j’avais accompli, comme si je vivais mal le côté egocentrique de la chose. J’ai eu besoin à plusieurs reprises d’être centré sur moi et sur ma performance pour être bon. Je n’étais pas capable de partager ma carrière et mon ressenti. C’était pesant de se faire plaisir sans savoir à quoi ça pouvait servir au milieu, ni ce qui allait rester de tout ça. Raconter mon expérience et comment j’ai vécu ces années est un moyen de laisser une trace de mon passage. J’espère que ça servira à la nouvelle génération. J’ai réussi aussi parce que j’ai hérité d’un environnement favorable, avec mes frères, et mon père, qui a fait partie de l’Equipe de France dans ma discipline. J’ai été depuis tout petit en contact avec de grands champions dont j’ai dévoré les conseils. J’ai aussi beaucoup observé autour de moi. Aujourd’hui, le haut niveau évolue de manière individualiste. On était tous assez secrets. Je ne suis pas comme ça dans la vie, j’aime discuter, je suis curieux, mais j’avais du mal à m’ouvrir dans le cadre de la compétition. Ce livre est une manière de rétablir les choses, de laisser un témoignage positif.
Qu’est ce qui vous a poussé à poser votre candidature au Comité des Athlètes du CIO ?
Mon expérience de porte-drapeau a été comme un déclic. Cela m’a donné envie de m’impliquer dans les instances sportives. J’ai une histoire forte avec le sport, je sais ce que ça m’a apporté et la passion que ça génère en moi. Après Pékin, je m’étais posé la question d’arrêter ma carrière et de ne repartir que pour un an, pour un Championnat du Monde, pour ne fais finir sur un échec. J’ai intégré la Commission des athlètes de haut niveau française en 2009. Je trouvais ça intéressant de porter les idées des sportifs, de les transmettre aux dirigeants et aux élus. Cette expérience m’a bien plu car elle m’a permis de rencontrer les décideurs, de voir les processus qui entraînent les décisions qui impactent les sportifs. J’ai travaillé pendant quatre ans au niveau national, puis l’opportunité pour le CIO s’est présentée après les JO de Londres. J’ai été élu mais le Japon et Taiwan contestent l’élection. Le Tribunal Arbitral du Sport doit trancher. On attend les délibérations qui prennent du temps. L’affaire vient de commencer à être étudiée. On devrait en savoir davantage courant février.
Pourriez-vous vous reconvertir dans un autre sport, comme l’ont fait, par exemple Jean Galfione ou Luc Alphand?
Je suis assez admiratif des sportifs qui ont réussi à trouver une autre voie. Ce n’est pas quelque chose auquel je pense, je ne me sens pas capable de rebondir dans un autre sport à haut niveau, mais j’ai envie de pratiquer le ski de randonnée, des sports outdoor. Je connais peu la voile, mais j’ai dans les cartons une rencontre avec François Gabart, qui m’avait envoyé un message sympa après les JO de Londres. Il m’avait proposé de venir m’entraîner avec lui avant le Vendée Globe, mais ça n’a pas pu se faire, car nous n’étions pas disponible au même moment. Cela devrait pouvoir se faire prochainement mais je ne pense pas me reconvertir un jour dans la voile. Ma reconversion, je l’envisage par contre dans le sport. Je travaille pour le Comité Olympique français et le Ministère du Sport. Nous essayons de mutualiser les envies des Fédérations olympiques pour bâtir des stratégies à l’international dans le but d’accueillir plus d’évènements internationaux en France. Sans évènements majeurs qui servent de locomotive, c’est dur pour le sport. Nous travaillons également en vue d’une meilleure représentativité des français dans les grandes instances internationales car on a un peu perdu notre force de lobbying à l’international. Pourtant, on a de jeunes sportifs fraichement retraités qui sont compétents.