
La première alerte est arrivée pendant la transat Jacques Vabre, par le biais d’une image rappelant une icône. Marie Tabarly s’essayant au sextant à bord de Kostum / Lantana Paysage de Louis Duc. Voilà qui n’a pas manqué de surprendre sur un Imoca, classe phare du XXI° siècle, vaisseaux tout de carbone vêtus emplis d’électronique, à bord desquels internet est aussi accessible qu’à la maison, et où les messages Whatsapp arrivent en temps réel. La raison de cet anachronisme flagrant, réside dans les instructions de course de l’Ocean Globe Race sur laquelle Marie Tabarly a engagé le mythique Pen Duick VI de son père. Pour célébrer le 50ème anniversaire de la première course autour du monde en équipage, Don McIntyre a en effet voulu en respecter l’esprit originel. Les bateaux acceptés doivent avoir participé à une précédent édition de la « Whitbread » comme on l’appelait alors, et les GPS ne sont tout simplement PAS autorisés à bord, comme stipulé en majuscules dans l’article 3.1.7 de l’avis de course.

Un parfum de vintage
Voilà une règle qui n’aurait pas déplu aux tenants les plus traditionalistes de la mini-transat. Ces mini-bolides de 6.50m sont à la course au large ce que le karting est à la Formule 1, ou le bac aux études supérieures, une porte d’entrée quasi-incontournable. A leur bord, le positionnement par satellite est bien autorisé depuis le milieu des années 90, mais le sextant est resté obligatoire, pour palier à toute défaillance technologique. La maîtrise de son fonctionnement est dûment vérifiée par la classe organisatrice, ce qui a valu à l’humble auteur de ces lignes, déjà plus littéraire que scientifique, ses premiers cheveux blancs en préparant l’édition 1997. Pour ma défense, au-delà des la complexité des calculs, relever la hauteur de l’astre solaire avec précision depuis le pont d’une coque de noix par mer agitée tient de l’exploit. Il me faudra plusieurs tentatives avant d’arriver à une position estimée à moins de 5 miles de celle donnée par le GPS qui me narguait. Je n’ai pas envoyé à l’organisation mes premiers essais, par respect pour les inventeurs du procédé.

Une invention européenne
A ce sujet, en ce Brexit an 1, il convient de rappeler que le sextant est le fruit d’une coopération franco-britannique, même si elle fut fortuite. Le sextant est en effet, le résultat des améliorations apportées en 1742 par Jean-Paul Grandjean de Fouchy à l’octant inventé par John Hadley seulement une dizaine d’années plus tôt*. C’est une petite révolution, car si on sait de longue date se positionner en latitude, la longitude restait aléatoire. Il suffit désormais d’un sextant, de l’heure précise et des tables astronomiques pour la déterminer à moins de 5 milles nautiques près. Autant dire que son usage s’est diffusé très rapidement et est devenu quasi-généralisé dès 1780. Il faudra ensuite attendre deux siècles pour voir les GPS intégrer nos tables cartes et reléguer définitivement, croyait-on, le sextant au rayon des antiquités.

Symbole d’une autonomie retrouvée
C’était sans compter le phénomène low-tech, la mode du vintage, et plus encore, le besoin pour beaucoup de se déconnecter d’un monde techno-dépendant. Mieux, pas besoin du moindre milliampère d’électricité pour faire son point au sextant, comme le symbole d’une autonomie retrouvée. On peut même parler d’indépendance au sens politique du terme, quand les fabricants de ces bijoux de technologie vantent les mérites de leurs équipements triple réseaux, à la fois Américain (le fameux GPS), Européen (Galileo) et Russe (Glonass), en attendant le chinois Beidou, au cas où les premiers décideraient de couper le signal ! Ils veulent éviter toute paranoïa ceux qui s’inscrivent en nombre aux formation ‘Sextant’ d’EFT, comme nous l’a confié Laurent Marion dans les allées du Nautic 2021. Un retour aux sources de la navigation en quelque sorte, dans le sillage des Slocum, Moitessier, Robin Knox-Johnston ou Tabarly. Une bonne idée de cadeau de Noël pour votre marin préféré(e)…
*Bibliographie : Une histoire du point en Mer – André Gillet (Ed. Belin)