Vendée Globe : stratégies sur l’échiquier océanique

«Soit on tente sa chance près de la côte en se disant qu’on fait une route plus directe mais avec peut-être moins de vent, ou alors on se dit qu’on fait le tour au large, en rallongeant la route, mais en ayant une zone difficile moins large à traverser, et dans un deuxième temps, quand on a traversé ce front, on bascule dans les alizés, c’est-à-dire le vent qui va basculer au Nord, puis Nord-Est, puis à l’Est. Donc le fait d’aller au large permet aussi de jouer cette rotation du bon côté ! Mais ça nécessite de faire de la route, et on n’est jamais à l’abri de finalement être arrêté en cours de route un peu plus que prévu dans ce front semi-permanent potentiellement orageuse !» Nicolas Lunven, HOLCIM - PRB.
Car jeudi, il ne fera pas bon être un marin sur le pont dans ce coin du monde, si bien que pour le petit groupe derrière lui, la question de ralentir pour éviter le gros de la dépression se pose, car la zone n’est pas franchement connue pour ses nombreux abris ! Violette Dorange (Devenir, 28e) a déjà annoncé avoir levé le pied, tout comme Eric Bellion (Stand as One – ALTAVIA, 27e). Mais d’autres continuent tête baissée, et même plutôt galvanisés, à l’image de l’expérimenté néo-Zélandais Conrad Colman (MS Amlin, 22e), qui nous racontait cette nuit, sur son bateau « mi-avion, mi-sous-marin » sa « légère jalousie d'imaginer les premiers bientôt à Terre, aller chercher leurs enfants à la sortie de l'école ». Mais il reste heureux de sa position et du match en cours avec ses concurrents, alors qu'il approche de son quatrième Cap Horn : «C’est excitant ! En 2012, j’avais déjà eu du vent fort aux Malouines, et ça nous avait permis d’être bien propulsé vers le Nord plus rapidement, j’espère que ce sera le cas cette fois aussi !» Conrad Colman, MS Amlin.Espérons que son enthousiasme lui permette de parer ce gros coup de la nature avec habileté, car on le sait, « la victoire est brillante, mais l'échec est mat » ! C’est d’ailleurs pour éviter une rencontre qui pourrait être fatale que, plus loin dans la flotte, Oliver Heer (Tut Gut., 30e) s’est un peu décollé de la zone des glaces, pour éviter tout risque de se faire damer le pion par un iceberg, dans cette zone où, voilà une semaine, certains concurrents avaient slalomé entre les glaçons.
Un choix qui se présentera aussi bientôt à Antoine Cornic (Human Immobilier, 31e) et Jingkun Xu (Singchain Team Haikou, 32e), qui nous racontait cette nuit son bonheur toujours puissant d’être en mer, malgré le manque de ses proches et des fruits frais qui commencent à se faire ressentir :«Jusque-là, je trouve le Pacifique bien plus stable que l’Océan Indien, même si j’ai traversé ces derniers jours une zone de vent très faible, au près, et c’était pas si facile que ça ! Mais je suis satisfait de ma position, ça a dépassé mes attentes ! Ce Vendée Globe, je n’aurais pas pensé que j’aurais un état moral aussi bien, j’apprécie la navigation de tous les jours, et je peux rester positif pour passer plein d’infos à mes amis et au public ! J’ai l’impression de pouvoir encore faire mieux dans le futur, j’ai encore une marge d’amélioration !» Jingkun Xu, SINGCHAIN TEAM HAIKOU.Seul ombre au tableau pour le marin chinois, amputé de la main gauche, son épaule qui continue de le faire souffrir, et dont la douleur s’aggrave même. Un coup malheureusement imparable dans l’immédiat, et qu’il faudra endurer sans faire trop de sacrifices.Sébastien Simon à l’équateurDu côté de Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), le seul sacrifice du jour aura été éventuellement sous la forme d’une offrande à Neptune, alors qu’il a franchi l’équateur à 7h08 ce matin pour la dernière fois de son parcours, et priant pour garder cette troisième place tant désirée ! Car la perspective de revenir sur les deux premiers paraît désormais illusoire, d’autant que le duo de tête maintient désormais des vitesses stables depuis sa sortie du Pot-au-Noir. Entre Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er) et Yoann Richomme (PAPREC - ARKÉA, 2e), il y a 140 milles, et une tripotée de coups encore à jouer. Car on n’imagine pas le Breton se contenter de cette deuxième place sans forcer… « Les attaquants peuvent parfois regretter de mauvais coups, mais il est bien pire de regretter pour toujours une occasion que vous avez laissé passer », disait Kasparov.
Charlie Dalin en sait quelque chose, lui qui avait vu la victoire lui échapper pour 2h30 sur la dernière édition du Vendée Globe, et qui ne souhaite pas franchement reproduire la même partie. « Ne pas gagner n’est pas une tragédie, le pire qui puisse vous arriver est de perdre la partie », disait Bobby Fischer, qui aurait pu tout aussi bien être Havrais ! L’échiquier est bien là, les joueurs plus que jamais concentrés. Qui l’emportera ? Assurément celui qui fera l’avant-dernière erreur.
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