Vendée Globe : stratégies sur l’échiquier océanique

Par Figaronautisme.com

La partie dure depuis près de deux mois, et l’usure commence à se faire sentir sur l’échiquier planétaire. C’est justement-là qu’il faut sortir ses meilleurs coups pour déjouer les stratégies des concurrents, mais aussi et surtout celles de l’océan. « Il vaut mieux avoir un mauvais plan que pas de plan », disait Kasparov, qu’on imagine volontiers derrière une table à cartes.


« Les échecs, c'est la lutte contre l'erreur », avait dit le perdant du tout premier championnat du monde d'échecs en 1886, qui était donc bien placé pour le savoir. Quelque 139 ans plus tard, nous sommes bien heureux de pouvoir lui emprunter la juste formule, pour l’appliquer directement à nos fous furieux propulsés depuis près de deux mois sur un échiquier taille XXL. Car sur ce vaste plateau non plus, aucun coup ne doit être joué sans but, et il faut parer autant les coups à venir que compenser ses handicaps !

« J’ai déjà plus beaucoup de cheveux, mais là… »

A ce jeu-là, Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 10e) a quelques tracas avec lesquels composer, lui qui a vu sa tête de mât s’arracher voilà quelques jours, et perdre avec elle tous ses précieux capteurs qui lui indiquaient avec acuité force et direction du vent. C’est donc à l’aveuglette depuis qu’il poursuit sa route, et nous explique :
«C’est surtout ennuyeux la nuit, parce que c’est là que j’ai des grains et des orages ! Quand il y a le vent qui passe de 10 à 30 nœuds avec bascule de 50 ou 100 degrés, là si t’as pas les yeux bien ouverts… quand c’est nuit noire et que tu ne vois rien, qu’il y a le bateau qui part à 30 nœuds et que tu sais même pas trop d’où vient le vent et la force qu’il a… j’ai déjà plus beaucoup de cheveux, mais là j’en perds encore un peu plus !» Nicolas Lunven, HOLCIM - PRB.

Ciel, il n’y a effectivement pas de quoi crâner ! Heureusement pour lui, Nicolas Lunven a encore un sacré cerveau dessous, qui lui a permis de se lancer dans une option Est pour traverser le front semi-permanent du Cabo Frio, qu’il nous explique avec, comme toujours avec lui, force pédagogie :

«Soit on tente sa chance près de la côte en se disant qu’on fait une route plus directe mais avec peut-être moins de vent, ou alors on se dit qu’on fait le tour au large, en rallongeant la route, mais en ayant une zone difficile moins large à traverser, et dans un deuxième temps, quand on a traversé ce front, on bascule dans les alizés, c’est-à-dire le vent qui va basculer au Nord, puis Nord-Est, puis à l’Est. Donc le fait d’aller au large permet aussi de jouer cette rotation du bon côté ! Mais ça nécessite de faire de la route, et on n’est jamais à l’abri de finalement être arrêté en cours de route un peu plus que prévu dans ce front semi-permanent potentiellement orageuse !» Nicolas Lunven, HOLCIM - PRB.

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Photo envoyée depuis le bateau Malizia - Seaexplorer lors de la course à la voile du Vendée Globe le 06 janvier 2025© Photo du skipper Boris Herrmann


Jusque-là, même si, nous avoue-t-il dans la nuit, il n’a « pas envie de se prendre trop le chou » avec le résultat de son choix, il n’est pas trop mécontent, « dans le sens où j’ai réussi à ne pas m’arrêter dans de la pétole, j’ai toujours eu du vent pour avancer ». Ces derniers jours, les routages avaient plutôt privilégié l’option à la côte, suivie notamment par Jérémie Beyou (Charal, 4e), Sam Goodchild (VULNERABLE, 5e), Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer, 6e) et Justine Mettraux (Teamwork – TEAM SNEF, 8e). Mais le quatuor accordé a vu le vent tomber cette nuit, ce qui promet bien du suspense sur l’issue de cette stratégie, dont on devrait connaître le fin mot d’ici deux-trois jours. « Celui qui prend des risques peut perdre, celui qui n'en prend pas perd toujours », disait Tartakover.

Un IMOCA « mi-avion, mi-sous-marin »

Sauf qu’en course au large, la nature du risque est un peu plus intense qu’une salle à l’ambiance feutrée. Car si Mac Mahon disait qu’ « il y a plus d'aventures sur un échiquier que sur toutes les mers du monde », on ne peut constater tout de même qu’il était commandant d’infanterie, et qu’il aurait peut-être moins fait le malin si on l’avait mis sur un IMOCA lancé à vive allure vers les Malouines, face à une « grosse Bertha » en cours de formation, comme l’a surnommée Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo For a Job, 20e), qui devrait franchir le Cap Horn dans la matinée !

Car jeudi, il ne fera pas bon être un marin sur le pont dans ce coin du monde, si bien que pour le petit groupe derrière lui, la question de ralentir pour éviter le gros de la dépression se pose, car la zone n’est pas franchement connue pour ses nombreux abris ! Violette Dorange (Devenir, 28e) a déjà annoncé avoir levé le pied, tout comme Eric Bellion (Stand as One – ALTAVIA, 27e). Mais d’autres continuent tête baissée, et même plutôt galvanisés, à l’image de l’expérimenté néo-Zélandais Conrad Colman (MS Amlin, 22e), qui nous racontait cette nuit, sur son bateau « mi-avion, mi-sous-marin » sa « légère jalousie d'imaginer les premiers bientôt à Terre, aller chercher leurs enfants à la sortie de l'école ». Mais il reste heureux de sa position et du match en cours avec ses concurrents, alors qu'il approche de son quatrième Cap Horn :
«C’est excitant ! En 2012, j’avais déjà eu du vent fort aux Malouines, et ça nous avait permis d’être bien propulsé vers le Nord plus rapidement, j’espère que ce sera le cas cette fois aussi !» Conrad Colman, MS Amlin.

Espérons que son enthousiasme lui permette de parer ce gros coup de la nature avec habileté, car on le sait, « la victoire est brillante, mais l'échec est mat » ! C’est d’ailleurs pour éviter une rencontre qui pourrait être fatale que, plus loin dans la flotte, Oliver Heer (Tut Gut., 30e) s’est un peu décollé de la zone des glaces, pour éviter tout risque de se faire damer le pion par un iceberg, dans cette zone où, voilà une semaine, certains concurrents avaient slalomé entre les glaçons.

Un choix qui se présentera aussi bientôt à Antoine Cornic (Human Immobilier, 31e) et Jingkun Xu (Singchain Team Haikou, 32e), qui nous racontait cette nuit son bonheur toujours puissant d’être en mer, malgré le manque de ses proches et des fruits frais qui commencent à se faire ressentir :
«Jusque-là, je trouve le Pacifique bien plus stable que l’Océan Indien, même si j’ai traversé ces derniers jours une zone de vent très faible, au près, et c’était pas si facile que ça ! Mais je suis satisfait de ma position, ça a dépassé mes attentes ! Ce Vendée Globe, je n’aurais pas pensé que j’aurais un état moral aussi bien, j’apprécie la navigation de tous les jours, et je peux rester positif pour passer plein d’infos à mes amis et au public ! J’ai l’impression de pouvoir encore faire mieux dans le futur, j’ai encore une marge d’amélioration !» Jingkun Xu, SINGCHAIN TEAM HAIKOU.

Seul ombre au tableau pour le marin chinois, amputé de la main gauche, son épaule qui continue de le faire souffrir, et dont la douleur s’aggrave même. Un coup malheureusement imparable dans l’immédiat, et qu’il faudra endurer sans faire trop de sacrifices.

Sébastien Simon à l’équateur

Du côté de Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), le seul sacrifice du jour aura été éventuellement sous la forme d’une offrande à Neptune, alors qu’il a franchi l’équateur à 7h08 ce matin pour la dernière fois de son parcours, et priant pour garder cette troisième place tant désirée ! Car la perspective de revenir sur les deux premiers paraît désormais illusoire, d’autant que le duo de tête maintient désormais des vitesses stables depuis sa sortie du Pot-au-Noir. Entre Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er) et Yoann Richomme (PAPREC - ARKÉA, 2e), il y a 140 milles, et une tripotée de coups encore à jouer. Car on n’imagine pas le Breton se contenter de cette deuxième place sans forcer… « Les attaquants peuvent parfois regretter de mauvais coups, mais il est bien pire de regretter pour toujours une occasion que vous avez laissé passer », disait Kasparov.

Charlie Dalin en sait quelque chose, lui qui avait vu la victoire lui échapper pour 2h30 sur la dernière édition du Vendée Globe, et qui ne souhaite pas franchement reproduire la même partie. « Ne pas gagner n’est pas une tragédie, le pire qui puisse vous arriver est de perdre la partie », disait Bobby Fischer, qui aurait pu tout aussi bien être Havrais ! L’échiquier est bien là, les joueurs plus que jamais concentrés. Qui l’emportera ? Assurément celui qui fera l’avant-dernière erreur.

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Photo envoyée depuis le bateau Fortinet - Best Western lors de la course à la voile du Vendée Globe le 07 janvier 2025© Photo du skipper Romain Attanasio / Vendée Globe

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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