Les vins immergés à Porquerolles, interview Florent Audibert

Figaro Nautisme : Pourriez-vous vous présenter et quel est votre rôle au sein du domaine de la Courtade ?
Florent Audibert : « Je suis arrivé en 2015 au domaine de la Courtade, lorsque ce dernier a été repris par la famille Carmignac. J’en suis le gérant, et je suis œnologue de formation. Le domaine de la Courtade s’inscrit dans un esprit familial, nous sommes huit personnes à l’année, afin d’assurer la production et la commercialisation des vins, ainsi que l’administration du domaine. En termes de superficie, nous exploitons 38 hectares de vignes en agriculture biologique. Cette dernière a été intégrée au sein du domaine en 1997 et on applique la biodynamie depuis 2015, depuis que l’on a repris le domaine. »
Qu’est-ce que la culture biodynamique ?
« Pour faire simple, l’agriculture biologique a un cahier des charges qui nous interdit très schématiquement l'utilisation de produits de synthèse, qui ne sont pas d'origine naturelle. C’est plutôt un cahier des charges restrictif, qui ne donne pas forcément des pistes de réflexion et de solutions techniques. L'agriculture biodynamique quant à elle, possède un cahier des charges plus exigeant. C'est aussi une philosophie de pensée où l’on essaie de mettre l’exploitation agricole au centre du système, et d’utiliser nos déchets pour en faire des ressources. D’autres paramètres rentrent aussi en jeu, avec un aspect plus philosophique, nous travaillons notamment avec les planètes et la Lune. C’est un degré supérieur. Le plus intéressant dans cette approche, c’est le raisonnement circulaire presque autarcique qui correspond à nos contraintes insulaires. On utilise aussi beaucoup d’infusions et de décoctions, c’est-à-dire de la phytothérapie, en compléments, pour traiter, et ceci afin de stimuler et renforcer naturellement nos pieds de vigne. »
Pour quelles raisons avez-vous décidé d’immerger des bouteilles de vin ?
« Il faut savoir que le domaine a été créé dans les années 80 par un architecte de la région qui avait très vite fait cette expérience d’immerger des vins du domaine. C'est quelque chose qui a marqué les esprits parce que 30 ans plus tard, on nous en parle encore, que ce soient les professionnels ou les consommateurs. Cette expérience a un peu attisé notre curiosité, parce que les seules traces que nous avions de ce travail, réalisé par la famille Vidal, c’était des retranscriptions de dégustation.
L’un des fils d’Édouard Carmignac, Hugues, avec qui j’ai travaillé lors de la reprise du domaine par la famille, m’a convaincu de faire des essais pour ré-immerger des vins, à l’échelle de quelques bouteilles. Au début, c’était juste de la curiosité. J’avoue avoir été un peu sceptique au départ. Nous avions de nombreuses choses à reconstruire sur le domaine, et pour moi, ce n’était pas la priorité. Nous avons mené cette expérience en parallèle de notre travail sur les vins et sur le domaine, avec quelques bouteilles.
Il faut savoir que l’expérience qui avait été menée à l’époque, dans les années 80, n’est plus possible en Méditerranée car c’est désormais interdit d’y immerger des bouteilles de vin. »
Dans les années 80, les bouteilles avaient été immergées non loin de Porquerolles, aujourd’hui, elles sont immergées en Atlantique ?
« Nous avons collaboré avec la société Amphoris, qui fait cela en Bretagne et qui immerge notamment des champagnes pour Leclerc-Briant. Ce sont deux copains qui ont développé ce service pour des vignerons désireux d’immerger leurs vins. Nous nous sommes tournés vers une société qui avait déjà un savoir-faire dans ce secteur, qui avait déjà une expérience pour nous guider au mieux.
Nous avons testé différentes profondeurs, différents types de bouchages, des bouchons en liège naturel, en liège recomposé, ou encore des bouchons Nomacorc et pour finir des bouchons en verre. D’année en année, nous avons éliminé certains procédés, comme les bouchons en verre, qui n’avaient aucun impact sur le vin, à part faire une jolie bouteille. Au fur et à mesure des essais, nous nous sommes également rendu compte qu’avec les bouchons en liège naturel, assez poreux et assez variables d’une bouteille à l’autre, l’eau de mer rentrait partiellement dans la bouteille et déstabilisait complètement le vin d’origine.
Au début, nous le faisions sur une base de vins que l’on commercialisait, qui était déjà mis en bouteilles. En parallèle mais indépendamment de l’immersion, nous avons expérimenté la vinification en amphores, qui sont un contenant qui a éveillé ma curiosité. On a donc fait l’achat de deux amphores en gré de 320 litres, dans lesquelles nous avons vinifié un rouge et un blanc. Dans les années 80, une partie des essais des vins immergés l’était dans des amphores. Donc naturellement, depuis deux ans maintenant, ce sont ces vins qui sont mis en bouteilles puis immergés, reprenant ainsi un symbole fort du domaine à sa création : l’amphore. Associer l’histoire du Domaine à notre culture actuelle et l’une de nos valeurs fortes.
Aujourd’hui, après de nombreux tests, nous avons retenu la profondeur de 20/30 mètres en bouchage liège. L’échange avec la mer est plus riche. Lors des premiers essais, nous avons parfois jeté les deux tiers des bouteilles. Actuellement, les bouchons utilisés sur notre cuvée Immergée sont un peu différents. Ils ont un diamètre légèrement plus gros et sont un peu plus longs que sur nos bouteilles classiques, ce qui permet de maîtriser les échanges avec l’eau de mer. »
Combien de temps avez-vous mis pour trouver le bon processus ?
« Nous avons commencé nos premiers essais en 2016. Entre la reprise du domaine en 2015 et 2018, nous avons mis beaucoup d’énergie à comprendre notre terroir, à ressortir des vins dans la lignée historique, nous étions en pleine appropriation de notre domaine.
En 2020, nous avons sorti les premières bouteilles, et en 2021 nous avons commercialisé la toute première cuvée Immergée. Nous avons fait plusieurs tests sur l’immersion. La première année, nous avons immergé les bouteilles un an, ensuite six mois. Aujourd’hui, les vins sont immergés neuf mois à trente mètres de profondeur. »
Vous avez immergé uniquement du vin rouge et du vin blanc ?
« Nous avons fait des essais sur des vins rosés, mais le résultat ne nous a pas du tout convaincus. Les vins avaient tendance à se refermer, à se réduire, cela n’avait donc aucun intérêt. »
Qu'est-ce que la mer apporte au vin ?
« C'est très variable d'une bouteille à l'autre. La nature du bouchon en liège naturel fait qu'il va y avoir des bouchons très poreux, d'autres beaucoup moins. Ce qui est intéressant dans l'idée, c'est que la mer a un impact très fort sur notre terroir, sur les vignes. Aujourd’hui, une fois que l’on a passé la porte de la cave, il n'y a plus cette relation avec la mer. Je trouvais cela intéressant de ramener cet élément, qui a un impact sur les vignobles, en cave. Ou plutôt le contraire, en mettant les vins en contact avec la mer.
Sur les blancs, la mer a tendance à renforcer les amertumes de fin de bouche. Cela donne une patine très particulière en bouche. À contrario, sur les vins rouges, cela a tendance à affiner les tanins. Mais l’on retrouve toujours ces amertumes salines, lorsque l’eau est entrée par le bouchon. À l’extrême, on peut aussi avoir des vins qui ne sont plus bons. On essaye d’écarter ces bouteilles. »
Deux années désormais que vous immergez les vins en Atlantique, chaque année des bouteilles sont mises en vente ?
« Nous vendons quelques centaines de bouteilles par an. Ce sont des vins que l’on commercialise essentiellement à la cave et que nous proposons à la dégustation sur le domaine. Nous les proposons aussi aux restaurateurs sur l’île de Porquerolles et aux restaurants étoilés qui ont un sommelier. Cela permet de jouer sur des créations et des accords mets et vins très particuliers. Quelques bouteilles sont également réservées à l’exportation. »
Prévoyez-vous d’augmenter le volume de vins que vous immergez ?
« Non, je ne pense pas. C’est un clin d’œil à l’histoire du domaine, c’est une expérience intellectuelle, cela change de ce que nous faisons habituellement. Notre ambition est d’élever des vins issus du terroir de l’île avant tout, de le mettre en valeur. Les vins immergés représentent moins de 1% de notre commercialisation, ils ne seront jamais notre produit principal. Cependant c’est une expérience unique que nous avons à cœur de faire perdurer. »