
1. « Lapin » : le mot tabou des marins !Dans le jargon des marins, un simple « lapin » évoque le malheur et l’accident. L’interdiction de prononcer ce mot découle de récits anciens : lorsqu’on transportait des lapins vivants dans les cales, ces petits rongeurs, capables de mâcher les sacs de provisions et même les planches du navire, pouvaient provoquer de graves dommages. Un lapin échappé, grignotant le bois de la coque, était souvent perçu comme l’annonce d’une catastrophe imminente. Ainsi, pour conjurer le mauvais sort, les marins bannirent ce mot et l’animal, lui préférant des euphémismes comme « long-oreilles ». Une sanction bien dure pour cet animal plutôt mignon, mais c’est un autre rongeur qui est d’autant plus dangereux pour les navires : le rat. C’est plus souvent ce dernier qui ronge les cordes, on ne verra jamais un lapin courant sur les amarres d’un bateau tentant de monter à bord, mais un rat, si.
2. Une femme à bord ? Gare aux tempêtes !La légende veut que la présence d’une femme en mer attire le courroux de l’océan. Ce vieux mythe trouve ses racines dans des conceptions sociales et spirituelles d’antan : alors que les femmes étaient associées à la stabilité domestique, leur venue à bord troublait l’harmonie d’un équipage exclusivement masculin. Anciennement, le roi de France avait lui-même promulgué la règle suivante : « Par ordre du Roi, la présence de toute femme sur un bateau de Sa Majesté est interdite, sauf pour une courte visite ; un mois de suspension sera requis contre l’officier qui contreviendrait à cet ordre et quinze jours de fer pour un membre de l’équipage qui, lui-même, n’y souscrirait point ». Symboliquement, la mer étant souvent personnifiée comme une femme jalouse, son humeur se déchaînerait face à toute « rivale » embarquée. Cette superstition a perduré jusqu’au XVIII? siècle, mais elle est aujourd’hui largement tombée en désuétude. Les femmes sont désormais de plus en plus nombreuses à conquérir les océans, en particulier dans les courses au large où des équipages entièrement féminins rivalisent avec talent. Des skippers comme Clarisse Crémer ou Violette Dorange naviguent en solo depuis leur plus jeune âge, prouvant que les frontières d’un autre temps sont bien révolues.
3. Le baptême des bateaux : une bénédiction pour affronter les vaguesTout comme un enfant, un navire a besoin de recevoir un nom et une bénédiction avant de braver les océans. Depuis l’Antiquité, le rituel du baptême, souvent accompagné d’une bouteille de champagne brisée contre la coque, vise à attirer la faveur des dieux et à protéger le bateau des forces maritimes malveillantes. À l’époque, il y a de nombreuses années, ce n’était pas du champagne que l’on renversait sur la coque mais le sang d’un sacrifié. Le vin, moins barbare, on vous l’accorde, a ensuite remplacé le sang du sacrifié, "Un navire qui n'a pas goûté au vin goûtera au sang" dit ainsi un proverbe anglais. Ce rite s’accompagne souvent de la présence d’un parrain où d’une marraine, symboles de protection et de guidance, afin de garantir une navigation sans heurts. Le Titanic n’avait pas été baptisé, et nous connaissons tous la suite de l’histoire et comment son premier voyage s’est terminé. Encore aujourd’hui, ce moment sacré reste cher aux marins, liant tradition et respect des éléments.Si vous venez d'acquérir un bateau et que vous souhaitez le rebaptiser, prenez garde : cette opération exige un rituel méticuleux afin d'éviter d'attirer la colère de Neptune. En effet, il vous faudra d'abord « couper le Macoui ». Le Macoui est l'esprit qui s'attache au nom du bateau lors de son premier baptême, incarné par le sillage qui suit l'embarcation. Si l'on change de nom sans l'avoir « tué », les deux noms entreront en conflit, attirant ainsi la malchance.Voici la procédure à suivre pour libérer le bateau de son ancien Macoui :1. Faire disparaître toute trace de l'ancien nom : Le nom initial doit être complètement effacé du bateau, de toute inscription visible jusqu'aux documents officiels.2. Appeler un bateau ami : Un autre bateau doit participer au rituel pour couper le Macoui.3. Souler d'alcool au Macoui : Versez un verre de rhum ou le meilleur alcool disponible dans le sillage arrière du bateau, en hommage et pour « enivrer » l'esprit du Macoui.4. Trancher le sillage trois fois : Le bateau ami doit couper le sillage du vôtre trois fois, en passant aussi près que possible du tableau arrière, là où la « tête » du Macoui est censée se trouver.5. Faire du bruit pour éloigner le Macoui : Étant sensible aux sons forts, le Macoui peut être chassé par des bruits puissants. Traditionnellement, on tirait un coup de canon ou un coup de feu, mais aujourd’hui, un puissant son de corne de brume à chaque passage suffit.Une fois le Macoui d'origine chassé, vous pouvez rebaptiser le bateau en proclamant son nouveau nom à haute voix. Arrosez le nouveau Macoui avec une rasade d’alcool pour l'accueillir et attirer la chance. Enfin, n'oubliez pas de remercier Neptune en versant une dernière rasade d'alcool à tribord, pour qu'il protège le bateau sous son nouveau nom.
4. Vendredi, jour maudit pour lever l’ancre !Pour les marins, partir un vendredi reste un présage funeste, et cela pour des raisons anciennes. Ce jour marque la crucifixion dans la tradition chrétienne, et au Moyen Âge, il était donc considéré comme inapproprié pour débuter de nouveaux projets, surtout ceux aussi risqués qu’une traversée en mer. Une autre explication tirée des croyances populaires suggère qu’autrefois, les marins recevaient leur paie le jeudi, ce qui les amenait à célébrer joyeusement toute la nuit. Au petit matin, beaucoup se retrouvaient avec la « gueule de bois », rendant difficile le départ en mer dans de telles conditions. Lever l’ancre un vendredi était donc perçu comme un présage de malheur, car les équipages risquaient de rencontrer des ennuis en naviguant dans cet état. Bien que cette superstition se soit adoucie avec le temps, de nombreux marins préfèrent encore aujourd'hui éviter un départ le vendredi, par simple précaution.5. Bananes interdites : un fruit qui porte malheur !Étrange mais vrai, les bananes ont longtemps été considérées comme de véritables aimants à malchance pour les navires de commerce anglo-saxons. Cette crainte vient de la période coloniale où des cargaisons de bananes, mûrissant très vite, dégageaient des gaz qui compromettaient les provisions environnantes. D’autres théories avancent que les cargaisons de bananes, souvent surchargées, ont provoqué le naufrage de plusieurs navires. Une explication plus troublante encore évoque la présence d'insectes tropicaux, notamment des araignées venimeuses, qui se dissimulaient dans les régimes de bananes et infestaient les cales. Les bananes en vinrent ainsi à symboliser la malchance, bannies de nombreux navires pour éviter tout risque d’incident. Aujourd’hui encore, cette interdiction persiste sur certains bateaux, par tradition ou par précaution.
6. Le vert, couleur funeste des navires italiensCette superstition est largement répandue chez les marins italiens, bien que moins présente dans d'autres cultures. Comme au théâtre, le vert est considéré comme une couleur porte-malheur en mer, et plusieurs explications en sont à l’origine. Certains l’associent à la couleur des vêtements portés lors des messes de funérailles dans la tradition catholique, ce qui en fait une teinte de deuil et de mauvais présage. D’autres pensent que le vert attire les orages et la foudre. Cette crainte est également liée aux moisissures verdâtres, qui pouvaient s’attaquer au bois des voiliers, compromettant leur structure et risquant de provoquer leur naufrage. Une explication plus macabre évoque le teint verdâtre des corps des officiers décédés en mer, qui, conservés à bord durant les longs voyages, n’étaient rendus aux familles qu’au retour, dans un état dégradé. Cette aversion pour le vert serait l’une des raisons pour lesquelles cette couleur est absente du code international des signaux maritimes et pourrait aussi expliquer l’édit de Colbert, qui, en 1637, aurait demandé la destruction de tous les navires à coque verte. Bien que cette superstition ait perdu de sa vigueur, elle subsiste : certains marins italiens préfèrent encore éviter le vert, le considérant comme un signe de mauvais augure.
Ces croyances maritimes illustrent la force des traditions et l’empreinte du sacré dans la vie des marins, mêlant histoire, mythes et pragmatisme. Entre mesures de protection et respect des forces naturelles, ces superstitions révèlent la quête d’harmonie avec la mer, ce lieu de vie et de périls.