Les traditions maritimes japonaises : un patrimoine vivant entre mer, rites et savoir-faire

Culture nautique
Par Le Figaro Nautisme

Des sanctuaires shinto posés face aux vagues aux plongeuses ama qui perpétuent un métier plurimillénaire, des villages de pêcheurs aux ateliers de charpentiers-navals, les traditions maritimes japonaises forment un univers d’une incroyable cohérence. Elles racontent un pays façonné par l’océan, où la spiritualité, l’artisanat, la pêche et la vie quotidienne ont toujours été reliés par un même fil : la mer comme partenaire.

Des sanctuaires shinto posés face aux vagues aux plongeuses ama qui perpétuent un métier plurimillénaire, des villages de pêcheurs aux ateliers de charpentiers-navals, les traditions maritimes japonaises forment un univers d’une incroyable cohérence. Elles racontent un pays façonné par l’océan, où la spiritualité, l’artisanat, la pêche et la vie quotidienne ont toujours été reliés par un même fil : la mer comme partenaire.
© AdobeStock

La mer, territoire des kami et scène des rites communautaires

Dans l’archipel japonais, la mer est depuis longtemps perçue comme un lieu où réside le sacré. Le shintoïsme, religion originelle du pays, entretient cette vision d’un littoral habité par les kami, les divinités qui protègent les communautés. Il existe des centaines de sanctuaires tournés vers l’eau, certains si proches du rivage qu’ils semblent dialoguer avec le ressac. Dans les villages où la pêche structure encore l’économie locale, les habitants continuent de gravir les escaliers menant aux petits sanctuaires pour y déposer du sel, des branches de sakaki ou quelques pièces avant de reprendre la mer.
Lors des grands matsuri de la côte pacifique ou de la mer du Japon, les processions prennent parfois la forme de cortèges nautiques. Les habitants transportent un autel portatif jusqu’au rivage, puis avancent lentement dans l’eau jusqu’à ce qu’elle atteigne leurs genoux, comme pour permettre à la divinité de toucher symboliquement la mer. À d’autres occasions, des embarcations richement décorées quittent le port en file serrée, leurs lanternes alignées formant un chemin lumineux à la surface. Ces scènes, très ancrées dans la culture locale, rappellent que pour de nombreux pêcheurs, la protection des divinités reste un élément aussi concret que la météo ou l’état des filets.

© Wikimedia

La construction navale traditionnelle, un art qui se transmet en silence

La construction de bateaux en bois, appelée wasen zukuri, demeure l’un des héritages les plus fascinants de la culture maritime japonaise. Les maîtres charpentiers-navals travaillent selon des règles intangibles, transmises de maître à apprenti, qui reposent davantage sur l’observation que sur la théorie. Les coques sont façonnées sans plans, à partir de proportions mémorisées et d’ajustements millimétrés réalisés directement sur le bois.
Chaque région possède son style. Dans la mer intérieure du Seto, les embarcations sont plus légères et pensées pour naviguer dans un lacis d’îlots et de courants doux. Sur la mer du Japon, les charpentiers construisent des coques plus solides, adaptées aux vagues hautes et aux vents soulevés par l’hiver. Les ateliers, longtemps menacés par l’arrivée des matériaux industriels, connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt. Des villages comme Ogi ou Ine accueillent des apprentis venus étudier ces gestes anciens, conscients que ces bateaux racontent une autre histoire de l’archipel : celle d’un peuple qui a toujours vécu au rythme des marées.

Ama
Ama © AdobeStock

La pêche japonaise, entre gestes millimétrés et traditions séculaires

La pêche occupe une place centrale dans la culture maritime du Japon, et elle est entourée d’un ensemble de gestes transmis avec une précision remarquable. La technique de l’ike jime, souvent citée comme un exemple de savoir-faire japonais, témoigne de cette exigence. Elle consiste à neutraliser immédiatement le système nerveux du poisson afin d’éviter le stress et de préserver une qualité de chair exceptionnelle. Au-delà de son intérêt culinaire, cette méthode est aussi une marque de respect envers la ressource, un principe profondément ancré dans les communautés littorales.
Parmi les traditions les plus emblématiques se trouvent les ama, ces plongeuses qui récoltent ormeaux, coquillages et algues en apnée. Leur activité, pratiquée depuis plus de deux millénaires, repose sur une connaissance intime des courants, des rochers et des saisons. Elles plongent équipées d’une simple combinaison et d’un couteau, guidées par des gestes appris dès l’enfance. Leurs cabanes, où elles se rassemblent autour d’un feu après la plongée, sont des lieux de transmission orale où se racontent histoires, conseils et souvenirs. Cette tradition, fragile mais toujours vivante, est aujourd’hui l’objet de programmes de préservation dans les préfectures de Mie, Ishikawa et Shizuoka.

katsuobushi
katsuobushi© AdobeStock

Un littoral qui façonne la vie quotidienne et la gastronomie

La mer ne s’invite pas seulement dans la religion ou dans le travail : elle détermine aussi la manière dont les Japonais organisent leur habitat et leur alimentation. Dans les villages de la mer intérieure, les funaya, ces maisons-bateaux construites directement sur l’eau, témoignent d’un mode de vie où la barque familiale fait partie du foyer. Le rez-de-chaussée sert de garage à l’embarcation, tandis que l’étage abrite la famille. Cette organisation du quotidien, unique au monde, illustre la proximité physique et mentale entre les habitants et l’océan.
Côté gastronomie, l’influence maritime est encore plus évidente. Le Japon a développé une maîtrise exceptionnelle du séchage, du fumage et de la conservation du poisson. Le katsuobushi, la bonite séchée, est un pilier de la cuisine nationale, présent dans la majorité des soupes et bouillons. Dans certaines régions, des alignements de poissons suspendus au vent racontent à eux seuls l’histoire du littoral : maquereaux salés à Ishikawa, sardines séchées à Wakayama, poissons grillés sur de longues planches de bois dans plusieurs villages de Shikoku. Ces techniques ont façonné des paysages culinaires d’une grande variété.

© AdobeStock

Festivals et célébrations : quand la mer devient théâtre

Les traditions maritimes ne se limitent pas aux métiers : elles se célèbrent publiquement lors de festivals qui attirent aujourd’hui autant de visiteurs que d’habitants. À Nagasaki, les courses de bateaux-dragons rythment chaque année un festival héritier de plusieurs siècles d’échanges avec la Chine. Dans d’autres ports, des régates historiques inspirées des embarcations des seigneurs féodaux sont relancées pour conserver la mémoire des anciennes flottes. Les lanternes disposées sur les bateaux, les musiques jouées par les habitants, les danses pratiquées sur les jetées donnent à ces fêtes un caractère vibrant, ancré dans la vie de chaque communauté.
Ces célébrations ont une fonction essentielle : elles rassemblent les familles dispersées, renforcent l’identité locale et permettent de rappeler que, même dans un pays hautement modernisé, la mer conserve une dimension culturelle fondamentale.

© AdobeStock

Les traditions maritimes japonaises forment un ensemble vivant, complexe et profondément cohérent. Elles mettent en lumière un rapport à la mer où se mêlent spiritualité, technique, mémoire et respect du milieu naturel. Si certaines pratiques ont dû s’adapter aux évolutions économiques et sociales, elles continuent de jouer un rôle essentiel dans l’identité des régions littorales.
Dans un Japon en mutation, elles offrent un point d’ancrage, un rappel de l’histoire d’un peuple qui s’est construit au rythme des marées et qui continue, aujourd’hui encore, de considérer la mer comme un partenaire, un guide et une mémoire collective.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte Lacroix
Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
Max Billac
Max Billac
Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
Denis Chabassière
Denis Chabassière
Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
Michel Ulrich
Michel Ulrich
Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
METEO CONSULT
METEO CONSULT
METEO CONSULT
METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…
Cyrille Duchesne
Cyrille Duchesne
Cyrille Duchesne
Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
Irwin Sonigo
Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.