
Figaro Nautisme : Comment vous est venue l’idée de créer un chantier naval, qui plus est en Lettonie ?
Dan Levy : Ce chantier est né par passion. Passion du bateau, de la voile mais c’est également une histoire d’amitié avec Laurent Bourgnon. Ce n’est absolument pas une histoire d’argent : à une époque de ma vie, j’ai eu la chance d’avoir le temps et les fonds pour me lancer dans une aventure à laquelle je rêvais depuis longtemps : imaginer et construire le bateau de nos rêves. Au début, nous passions des heures avec Laurent en visio pour définir ce qui nous importait sur LE bateau, ce qui était possible, imaginable ou pas...
En parallèle de ces briefs, j’ai écumé le monde à la recherche d’un chantier capable de construire ce bateau. Un jour, je suis à Riga et je découvre un chantier qui construisait des plans Lerouge de 21m. Un superbe outil de production, face à la mer. Sur place, j’ai trouvé tout ce dont j’avais besoin : des artisans qualifiés, une usine moderne, des infrastructures cohérentes, un vrai savoir-faire de l’équipe, un environnement sûr et agréable aussi bien à vivre que pour y travailler. Et point non négligeable, presque tout le monde parle anglais, c’est donc vraiment facile de s’intégrer et de communiquer. Cette opportunité, je ne l’ai pas laissé passer. C’est comme cela que le chantier O Yachts est né en 2012, avec son unité de production en Lettonie.
Je suis issu d’une famille profondément attachée à la mer et les bateaux. J’ai beaucoup navigué, d’abord petit, lors des vacances familiales sur le bassin d’Arcachon sur notre Corsaire, puis j’ai eu le droit à mon propre 420. La liberté ! Par la suite, j’ai eu la chance de partir souvent en croisière avec mon père en Méditerranée.
Professionnellement, j’ai commencé dans l’informatique avant de bifurquer dans la construction... de maisons haut-de-gamme. C’est un monde assez proche de celui des chantiers nautiques. À la différence notable - et essentielle à mes yeux - dans la construction nautique, ce sont tes propres équipes qui réalisent chaque étape. C’est donc toi qui portes l’entière responsabilité. Et ça, j’aime !
Figaro Nautisme : Le chantier O Yachts propose des catamarans différents de ceux que l’on trouve habituellement sur le marché, pouvez-vous nous expliquer leurs spécificités et les collaborations que vous avez mises en place, notamment avec Laurent Bourgnon ?
Dan Levy : Nous avons dessiné avec Laurent, le bateau qu’il aurait aimé. L’idée de départ était de concevoir le plus grand catamaran possible, qui soit gérable par un homme ou une femme en solo. Un grand bateau, car face à la puissance de la mer, nous ne sommes pas grand-chose, et la taille compte vraiment en matière de sécurité. A condition de pouvoir gérer le bateau quelle que soit la situation, et donc, seul si besoin. Attention, on parle ici de réussir à gérer sans s’appeler Laurent Bourgnon [NDLR : double vainqueur de la Route du Rhum], pour un skipper normal. Nous nous sommes arrêtés à 19,50 m, c’était pour nous deux, définitivement la taille idéale.
Nous voulions aussi un bateau performant, capable de belles moyennes à la voile et surtout un bateau qui ne nécessite pas de mettre les moteurs quand le vent faiblit. Sur le Class 6, avec 5 nœuds de vent, on navigue à 6,5 nœuds, sous grand-voile et génois seuls ; encore plus sous voiles d’avant. Pas mal pour un bateau hyper confortable de près de 20 m. Pour réussir ce tour de force, nous avons une construction tout carbone coque et aménagements et le devis de poids de l’architecte est plus que respecté, nous sommes même en dessous. Une version normalement équipée sort à 14 tonnes lèges. La version ultra équipée que nous allons présenter à Cannes dépasse à peine les 17,5 tonnes.
L’autre point sur lequel nous avons beaucoup travaillé est la fameuse « coque centrale » dont sont équipés nos bateaux, le « spine concept ». Il s’agit d’une réserve de flottabilité qui permet de sécuriser le bateau même si vous êtes dans une mer dans laquelle il ne fallait pas aller. Et cela arrive parfois, même au meilleur des marins. Sur les O Yachts, on accepte la vague... Elle ne va pas exploser sous la nacelle, mais être littéralement coupée en deux et s’évacuer sur les côtés de la « coque centrale ». Même dans les situations extrêmes, le catamaran ne va pas enfourner. La sécurité, encore et toujours !
Figaro Nautisme : Quelle est l’actualité du chantier en 2025 ?
Dan Levy : Le dernier né du chantier sera présenté au prochain de Cannes en septembre 2025. Un bateau important car il démontre notre capacité à proposer une unité très équipée - on y trouve un flybridge équipé d’un superbe lounge, un cockpit avant et des aménagements hyper cosy dignes des bateaux les plus confortables, tout en conservant les performances propres à un O Yacht. Nous avons beaucoup travaillé sur ce modèle. Il est équipé de 7000 Watts de panneaux solaires. Nous sommes vraiment fiers du résultat...
Figaro Nautisme : Les bateaux d’aujourd’hui sont de plus en plus complexes mais aussi plus confortables et paradoxalement plus faciles à manœuvrer. Comment voyez-vous l’évolution de vos bateaux dans 10 ou 15 ans ?
Dan Levy : Nous resterons, je l’espère, dans notre créneau : des catamarans qui offrent à la fois le volume de vie à bord, des aménagements confortables, une belle finition et... de vraies performances sous voiles. Nous travaillons évidemment sur la partie assistance aux manœuvres pour faciliter la vie des propriétaires. Ce sont des bateaux plus compliqués à construire, mais tellement plus simples à utiliser. Et c’est clairement l’avenir. Nous planchons aussi sur une « unité chantier » équipée de voiles épaisses. Notre ADN, c’est l’innovation !
Figaro Nautisme : O Yachts en chiffres ?
Dan Levy : Nous sommes un petit chantier qui fabrique de grands bateaux. Nous sommes solides, nous n’avons aucune dette et l’unité de production nous appartient. A ce jour, nous sommes 18 personnes au chantier et pouvons construire 1 bateau complet par an. Nous aurions facilement la possibilité de passer à 3 bateaux par an... Notre intention est de livrer aussi 1 coque nue par an, qu’un propriétaire peut ensuite faire aménager dans le chantier de qualité de son choix.
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Dan Levy : Ma dernière navigation ? Ce matin entre les îles de Lérins et Golfe Juan... Quand je suis en France [ce qui était le cas lors de cette interview], je vis sur mon bateau au mouillage aux îles de Lérins.
La prochaine sera lors du convoyage de notre nouveau Class 6 entre Riga et Cannes cet été. Je vais sûrement faire une partie du voyage...