Vendée Globe : cueillir l’instant pour dompter l’imprévu

« Ce qui a été dur ça a été de prendre la décision »Car certes, au premier coup d’œil sur la cartographie, la benjamine de la course – seulement 23 Noël, on le rappelle - pourrait donner l’impression d’avoir un peu procrastiné son passage du Cap Horn. Dans les derniers milles du Pacifique, voilà maintenant deux jours que Violette Dorange essaie de contenir son véloce IMOCA, ce qui est déjà une gageure en soi ! « C’est vraiment perturbant d’avoir les voiles roulées, d’aller le moins vite possible, c’est long et c’est même pas facile parce que le bateau va trop vite ! », nous expliquait-elle dans la nuit. Mais la jeune navigatrice vit d’autant plus pleinement dans le présent qu’elle ne faisait justement pas trop confiance à l’avenir, qui lui apportait une velue dépression à la hauteur des Malouines, dont vont commencer aujourd’hui à ressentir les brutaux effets ses anciens camarades de Tanguy Le Turquais (Lazare, 21e) à Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One, 26e) ! «C’est un peu perturbant de voir les autres concurrents passer le Cap Horn et de me dire que j’étais avec eux il y a quelques jours, mais d’un autre côté je ne regrette pas du tout, je sais que ce que je fais c’est bien, c’est safe ! Je ne voulais pas me retrouver dans du 50 nœuds et rafales à 60 ! Ce qui a été dur ça a été de prendre la décision, j’ai beaucoup hésité, mais une fois que je l’ai prise j’ai jamais trop douté ! J’ai bien tourné la situation dans tous les sens et je sais que c’est la meilleure option pour moi ! Violette Dorange, DeVenir.Ainsi donc pour ne pas être cueillie à froid, qu’on soit rose ou Violette, il faut rester droit dans ses bottes, et repousser à plus tard le moment de ressortir les crocs, même si la benjamine de la course se languit de la chaleur… « Je commence à avoir très froid, j’ai plus de chauffage à bord ! », nous expliquait-elle, alors que, voilà 24 heures, s’est déclarée une avarie majeure de son moteur :«On pense que c’est le joint de culasse qui s’est abîmé et qui aurait laissé passer de l’eau. J’ai perdu énormément d’huile dans mon moteur, il faut plus que je compte dessus jusqu’à l’arrivée. J’étais pas bien à cause de ça hier parce que je me suis mise à stresser et à me dire « qu’est ce qu’il se passe si j’arrive pas à charger mes batteries », mais aujourd’hui je rationnalise un peu plus, je me dis que ça sert à rien de s’inquiéter, ça sert à rien de trop anticiper non plus ! Je vais faire avec mes deux hydro générateurs et mes panneaux solaires. Faut juste que je reste vigilante, que je surveille bien ma consommation… Faut prier pour que ça le fasse mais il y a des chances pour que ce soit le cas ! Je continue et j’essaie de m’inquiéter le moins possible.» Violette Dorange, DeVenir.« Carpe Diem » et frigus caput, le poète serait assurément fier de toi, Violette ! Mais attention, on vous voit venir, pas de raccourci édulcoré, l’épicurisme n’a rien d’une litanie de plaisirs, et c’est justement en cela que nos marins s’en rapprochent ! Car le rêve d’Horace est, on le rappelle, seulement d’atteindre l’aponie – l’absence de douleurs physiques – et l’ataraxie – la tranquillité de l’âme (ça, c’est cadeau pour le camembert marron au Trivial Pursuit). Pour lui, la cessation de la douleur est déjà un plaisir en soi !« C’est pas facile à digérer »Or à regarder la situation de Damien Seguin (Groupe Apicil, 15e), on en est pas encore là ! Il y aurait en effet de quoi devenir chèvre (oui, on ose, ça fait deux mois qu’on ne dort pas non plus !), lui qui, bloqué par la dorsale anticyclonique avec son binôme Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 14e) a vu revenir sur lui, sans avoir à trop forcer, ses camarades Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 16e) et Alan Roura (Hublot, 17e). Au crépuscule, il reconnaissait : «Pour nous c’est compliqué, on avait fait le trou et les voir revenir aussi facilement, c’est pas facile à digérer, mais ça fait partie de la régate et c’est pas la première fois non plus ! C’est juste une opportunité que leur donne la météo, mais ça fait quand même trois ou quatre semaines que Jean, il a de la chance au niveau des enchaînements météo !» Damien Seguin, GROUPE APICIL.Alors comment se cueille l’instant dans ces conditions ? En appréciant ce qu’on a gagné, tout en reconnaissant ce qu’on a perdu. A savoir, pour Damien Seguin, toujours autant de stress, mais pas le même :«Les premiers jours dans l’Atlantique sont franchement très très différents de ce qu’on a vécu dans le grand Sud. Les conditions ne sont pas les mêmes, c’est quasiment l’opposé, donc c’est pas du tout le même stress ! C’est plus reposant d’un certain côté – physiquement notamment – mais c’est plus complexe niveau cérébral parce que c’est un océan qui est beaucoup plus ouvert tactiquement parlant ! Ce qui est sûr c’est que ça ne va pas être un Vendée Globe rapide pour moi, je suis passé avec 3 jours d’avance sur mon temps d’il y a quatre ans au Cap Horn, et je crois que je les ai déjà quasiment perdus ! J’arriverai quand j’arriverai…» Damien Seguin, GROUPE APICIL.Le premier objectif de ce groupe de quatre marins, qui pourrait encore être rejoints par d’autres si la pétole se prolonge, est de se sortir de cette galère ! « Après on essaiera de faire parler les différentes machines, et je suis content parce que le bateau est encore en bon état pour ça », disait Damien Seguin, décidément bien philosophe, et tout décidé à profiter des plaisirs simples de la nature, qui lui permettent au moins de se reposer un peu, et de prendre soin de lui – à commencer par une séance de rasage qui nous ferait presque regretter qu’il n’ait pas gardé la moustache... On lance une pétition ?