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C’est désormais devenu pratiquement incontournable, le choix d’une motorisation moins polluante s’ancre inexorablement dans nos esprits et la question se pose comme une évidence au moment de passer à l’achat de l’unité tant convoitée ou même simplement quand on pense à louer un bateau pour les prochaines vacances. Beaucoup sont encore sceptiques sur le bien-fondé de la démarche au stade actuel de développement de ces nouvelles technologies, craignant un manque de performance et de fiabilité des motorisations hybrides et/ou électriques, préférant attendre que les progrès viennent du secteur automobile. Mais pour beaucoup d’autres, devancer l’appel et participer activement à cette évolution de nos modes de navigation est une démarche écoresponsable, qu’ils en soient ici remerciés.

Une législation qui pousse à la responsabilité, surtout des professionnels
Dans le domaine du transport, le « verdissement » des véhicules fait l’objet de plus en plus de décrets comme l’interdiction de rouler en agglomération pour les plus pollueurs ou d’obliger les transports et les plateformes de livraison à intégrer dans leur parc, des véhicules à faibles émissions d’ici 2030. Pour la navigation, l’obligation de ne plus émettre de CO2 dans les ports est également fixée à 2030. On ne connaît pas encore exactement les modalités, mais le message est suffisamment clair pour contraindre en premier lieu les professionnels du transport maritime. Les e-motoristes comptabilisent d’ailleurs beaucoup plus d’installations et de remplacements sur les bateaux professionnels que pour la plaisance. Dans le domaine du fluvial, sous l’égide de la Commission européenne, le ministère de la transition écologique a émis une fiche « TRA-EQ-126 » encadrant « la remotorisation en propulsion électrique ou hybride des bateaux naviguant en eaux intérieures ». L’application porte sur le transport de marchandises ou de passagers, l’exploitation-maintenance (bateaux et barges de travail, restaurants, péniches hôtels) et la plaisance. Les bateaux électrifiés seront munis d’un certificat d’économie d’énergie à l’issue de la transformation. Cela ne concerne pas le domaine maritime pour l’instant, mais l’extension ne se fera sans doute pas attendre très longtemps. Pour Jeremy Benichou de Torqeedo France, cela a eu un effet déclencheur. Pas moins de 1 500 petits bateaux de travail sont passés à ce mode de propulsion ces deux dernières années, bien aidés par des financements ad hoc. La plaisance ne bénéficie pas, elle, de subvention de l’État comme dans l’automobile ou pour un vélo ou une trottinette électrique, à bon entendeur…
Une offre diversifiée sur deux méthodes
En visitant le dernier Nautic à Paris, on prend conscience que quelque chose est en train de se passer. Dans les allées dédiées à la plaisance écologique, une multitude de stands exposent leur solution miracle pour moins, voire ne plus rejeter de CO2. Cela va du génial inventeur du moteur hors-bord FinX qui utilise des techniques issues de la nature pour remplacer les hélices par un système au rendement beaucoup plus avantageux, au groupe Bénéteau qui met en avant des motorisations électriques sur certains modèles de ses marques. Entre ces deux extrêmes, on découvre des solutions de passage à l’éthanol avec l’Ethabox, ou la pile à éthanol Efoy, ou encore à l’électrification de hors-bords comme Mercury et Evoy. Les piles à hydrogène, chez EOdev ou chez Inocel (présentée sur un prototype Tullio Abbate de 27 pieds), assorties de leur réservoir d’hydrogène sous pression, font leur apparition pour se substituer au groupe électrogène et envisager le non rejet de CO2 à terme.
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Alors que la recherche des motoristes comme Torqeedo, Oceanvolt et Bellmarine a été consacrée intégralement à la production de moteurs électriques pour le montage « en série », des fabricants historiques de groupes électrogènes comme Fischer Panda se mettent à proposer le leur, en complément de leurs gammes de générateurs. De leur côté, les motoristes traditionnels, qui rencontrent des enjeux bien plus importants dans le secteur automobile, travaillent sur plusieurs solutions simultanément, comme l’utilisation de carburants biodégradables chez Cummins. Yanmar a déclaré sa stratégie de transition énergétique axée sur l’hybridation, l’électrification, l’optimisation énergétique en matière de carburants à faible teneur en carbone, tels que les HVO et les carburants synthétiques. Plusieurs bateaux sont testés avec le saildrive, plus orienté sur les voiliers pour l’instant. Mais la marque avoue que les carburants bio à combustion ont encore une belle vie devant eux. Volvo, de son côté, n’écarte pas ces pistes de carburants plus propres et a posé ses jalons concernant le montage d’un moteur électrique sur ses groupes D4 et D6 DPI Aquamatic et sur les plus grosses motorisations IPS 500 à 1 200.
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Certains accessoiristes comme E-Motion ou Transfluid n’ont pas attendu et proposent une adaptation d’un moteur existant en vue d’électrifier des bateaux d’occasion. Cette technologie de montage hydride « en parallèle » permet à un navire d’évoluer sans émission dans les enclaves portuaires et les zones protégées du littoral à une vitesse qui oscille entre 5 et 12 nœuds, puis de pouvoir rebasculer sur les moteurs thermiques une fois au large pour atteindre des vitesses et une autonomie supérieures. Ce montage diffère de celui dit en série où seule la motorisation électrique est hybridée avec le groupe électrogène thermique qui va fournir l’énergie nécessaire à la propulsion. Dans le cas d’un dayboat qui revient charger les batteries au port le soir ou dans celui de bateaux portant suffisamment de panneaux solaires et/ou une pile à hydrogène, on parlera alors d’installations 100 % électriques car ces bateaux ne rejetteront aucun gaz à effet de serre. Alors quelle méthode d’installation choisir pour son bateau ? Nous avons posé la question à Eric Stromberg – vice-président du département moteur du groupe Bénéteau. Sans hésitation, il précise que « cela dépend du bateau et de son utilisation ». De manière générale, sur les voiliers où la répartition des poids est cruciale, le montage en série permet de centrer les poids avec les batteries et le groupe tout en allégeant la poupe puisqu’un moteur électrique est léger. Mais sur les voiliers monocoques de plus de 18 mètres qui ont besoin d’énormément de puissance et d’autonomie pour le grand large, le montage en parallèle sera d’autant plus adapté que les moteurs principaux sont situés sous le carré, bien centrés. La question de taille et de programme est au cœur de la solution également pour les bateaux à moteur. Un dayboat léger se satisfera d’une motorisation en série, même puissante, car il pourra recharger le soir. Les unités plus importantes, moins sensibles au poids en charge, ayant besoin de grosses puissances et souhaitant pouvoir croiser longtemps devront envisager un montage « en parallèle ». Pour illustrer ces propos, le groupe a récemment mis à l’essai un Océanis 30.1, un First 44 et un Excess 15 avec une motorisation Torqeedo en série. Côté moteur, une campagne d’essai a été lancée en partenariat avec Volvo sur la base d’un NC37 équipé d’un Volvo Penta D4-320 DPI Aquamatic qui offrira trois heures d’autonomie à 8-9 nœuds mais pourra atteindre plus de vingt nœuds une fois au large.
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L’électrification fait évoluer la conscience et les collaborations
Ces nouvelles motorisations sont aussi en constante évolution technologique et demandent à être longuement testées avant de pouvoir être proposées en toute sécurité à la clientèle. D’où l’apparition de synergies industrielles et commerciales inédites telles que celle de Jeanneau avec Volvo. Parce que les moteurs électriques ont besoin de beaucoup d’électricité, la fourniture d’énergie – et son stockage – est primordiale. Et comme les interfaces de gestion sont complexes à mettre au point autant maîtriser la chaîne du début à la fin. Ainsi des alliances se créent : Cummins a racheté Meritor et réalisé un partenariat avec Editron, une division de Danfoss Power Solution, pour développer des solutions marines hybrides. Torqeedo coopère avec Proton Motor pour travailler sur le projet Ma-Hy-Hy (Marine Hydrogène Hybride), système intégré de motorisation électrique et alimentation par pile à combustible d’une puissance de 30 à 120 kW. L’acheminement de l’énergie jusqu’aux bateaux est tout aussi important. Delphia Yachts vient d’officialiser un accord stratégique avec Aqua superPower pour accélérer l’adoption de chargeurs rapides dans les ports de plaisance.
Dans ce même esprit, Fountaine Pajot, qui soutient que 80 % de l’empreinte carbone sont liés à l’utilisation du bateau, étudie avec le loueur Trade Wind, à qui il livre son premier Samana 59 équipé de la pile à hydrogène REXH², la faisabilité de la production d’hydrogène vert directement au port d’attache. Les loueurs ne sont pas en reste dans la démarche comme en témoigne Dream Yacht Worldwide qui vient de commander vingt-deux bateaux électriques au groupe Fountaine Pajot. Dix Aura 51 Smart Electric et Elba 45 et douze Dufour 530 électriques dont le 1er modèle sera présenté à Cannes en septembre. La plateforme de réservation
Click & Boat présente aussi une offre de navires électriques à ses utilisateurs.
Des marques entièrement dédiées à la bonne cause
Une marque comme Greenline a depuis longtemps voué une bonne partie de ses efforts et donc de sa production à la motorisation verte, mais l’enjeu de préserver nos chances futures de vivre bien suscite des vocations. Des marques telles que Silent-Yachts ou RAND Boat, ont été créées uniquement pour et par la motorisation électrique.
Pour le zéro émission, c’est une femme qui a montré l’exemple. Chloé Zaied, marin de profession, a créé la marque « Hynova Yachts » et conçoit le premier bateau de plaisance au monde à fonctionner à l’hydrogène électrique. Son dayboat de 12 mètres est muni de quatre bonbonnes de 110 litres d’hydrogène pressurisé à 350 bars, alimentant la pile REXH² qui produit 60 kW dans une puissance allant jusqu’à 600 volts, sans faire de bruit et en rejetant de l’eau. Plus récemment, c’est Alva Yachts, une marque allemande qui décline une gamme de voiliers monocoques et de catamarans moteurs de plus de 70 pieds. La toute jeune entreprise française Whisper-Yachts, qui vient de se créer avec le projet d’un motoryacht électrique-solaire sur la base d’un catamaran luxueux de 50 pieds, vient d’enregistrer trois commandes. Sa motorisation de 2 x 100 kW Torqeedo Deep Blue est alimentée par trois nouvelles batteries de 80 kW chacune soit 240 kW et ses 40 m² de panneaux solaires lui garantissent une autonomie illimitée à 5-7 nœuds.
Le nombre de bateaux électrifiés est encore très faible dans le parc de plaisance (sans doute moins de 3 %) et surtout constitué de petits chantiers précurseurs qui ont défriché le terrain car la technologie est complexe et les habitudes de navigation doivent s’adapter à ce nouveau mode de propulsion. Aujourd’hui la demande des clients, que ce soit pour l’achat ou pour la location, est devenue plus forte. Si des groupes industriels importants (qui représentent 70 % des ventes dans le nautisme) se mettent à l’électrique aujourd’hui, c’est que demain nous naviguerons à l’électrique.
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